mardi 9 février 2016

Débloquer la société ?, par Noël Mamère


La guerre de tranchées entre taxis et VTC, entre paysans et distributeurs, entre hôtels et propriétaires louant leurs appartements, entre kiosquiers et Internet sont autant de manifestations d’une société crispée, qui ne sait plus où elle va, confrontée aux bouleversements qu’annonce la révolution numérique. 

Face à cette mutation sans précédent, que les spécialistes qualifient de « disruption », le pouvoir, pris en tenaille entre son obsession libérale conservatrice et une base électorale qui ne le suit plus, choisit le parti des nantis de la modernité et s’abandonne à une idéologie pro business sans vision. Comme s’il n’avait d’autre choix que la fuite en avant face au plus grand défi de ce siècle avec le réchauffement climatique. 


Le trio Hollande- Valls-Macron estime sans doute que les coups de menton, les interventions musclées de la police et la recherche de boucs émissaires dans les corps intermédiaires, désormais considérés comme les uniques facteurs de blocage, suffiront à faire baisser ces tensions. C’est méconnaitre l’histoire et le fonctionnement de la société française. 

Les pompiers-pyromanes qui nous gouvernent, allument des feux chaque semaine : Un jour, c’est la dégressivité des rémunérations des chômeurs, un autre la protection contre les licenciements, un troisième, c’est la fin des 35 heures… Et après ils s’étonnent d’avoir mis le feu à la plaine ! 

Dans cette atmosphère de fin de règne, les Français détournent leur regard, dégoûtés par une classe politique qui, comme nous le rappelle le procès Cahuzac, peut, sans vergogne, nous regarder « les yeux dans les yeux » en nous montant effrontément. Pas étonnant, dès lors, que le déclinisme des uns, rejoigne le pessimisme des autres et que les deux conduisent à une régression démocratique sans précédent. 

Nous assistons, en effet, à l’émergence d’un néo-corporatisme qui, allié à la montée du souverainisme, cache sexe du nationalisme, alimente le Front national. Tout cela, nous le savons depuis longtemps, sans pouvoir stopper cet engrenage fatal. 

Comment débloquer la situation ? 

Il n’y a évidemment pas de recettes magiques. Ce qui nous manque, c’est une méthode et une vision. Nous croulons sous les programmes, nous élaborons des tactiques politiciennes à n’en plus finir. Tout ça pour conserver des appareils vermoulus, qui n’ont plus aucune prise sur le réel mais qui permettent aux plus expérimentés de surfer au-dessus du volcan. 

Ce n’est pas la première fois que la gauche se retrouve dans une telle impasse. Rappelons-nous le début des années soixante, après le retour de De gaulle au pouvoir, et la fin de la calamiteuse gestion de la guerre d’Algérie par Guy Mollet. L’émergence d’une société dominée par le tertiaire, la mutation du monde paysan, la métropolisation des villes étaient déjà des débats sensibles. La gauche se régénéra alors par le bas, en multipliant les clubs, les Groupes d’action municipaux, les sociétés de pensée ; elles furent la matrice d’idées qui, avec le printemps 68, forgèrent une nouvelle alliance entre la gauche mendésiste, la gauche mitterrandienne et le parti communiste, produit du vieux guesdisme français et de la révolution russe. 

La première étape de la rénovation doit consister à mutualiser ce foisonnement intellectuel d’en bas, à redonner sens à l’intelligence collective de cette gauche « populaire » qui ne se reconnait plus dans ceux qui prétendent la représenter. Et elle existe, comme j’ai pu le constater ce dimanche, à Grenoble, lors de la rencontre organisée par Mediapart. Un grand moment d’espoir. 

L’autre période qui devrait nous amener à réfléchir est le début du XXème siècle, quand la gauche, éclatée entre possibilistes, anarcho-syndicalistes, héritiers du blanquisme et autres compagnons de Guesde ou de Jaurès, cherchait désespérément les moyens de son unité. Le débat était alors entre réforme et révolution. 

Entre le 3 aout et le 17 octobre 1901, dans « la Petite république », Jaurès publia douze articles dans lesquels il développa le concept d’évolution révolutionnaire. Sa méthode consistait à partir des réalités concrètes de la production et non de slogans comme l’abolition du capitalisme. Il préconisait que soient mis en place, graduellement, des types variés de propriétés, sociale, coopérative communale et corporative, coexistant avec la lutte menée par les syndicats et l’association de ces derniers dans les grandes entreprises. 

Pour lui, le socialisme ne se réduisait ni au retournement de veste de Millerand, ni aux grandes phrases de ses rivaux socialistes. L’évolution révolutionnaire consistait selon lui à introduire des formes de propriété qui la dépassent, qui annoncent et préparent la société nouvelle et qui, par « leur force organique hâtent la disparition du monde ancien » (…) Les réformes ne sont pas à mes yeux des adoucissants ; elles sont et elles doivent être des préparations ». 

Appliquée à notre époque, cette méthode correspond à notre vision de la transition écologique, fondée sur la résilience et le convivialisme ; une écologie qui libère des contraintes de la vieille société, de la loi de la jungle dans laquelle nous enferme le « sarkhollandisme ». 

Promouvoir la société collaborative contre celle des GAFSA ( Google, Amazon, Facebook, Apple) dans laquelle les usagers sont les producteurs de leurs propres chaînes, combattre l’uberisation de la société. 

Ce que veulent les paysans, ce sont des prix négociés et des circuits courts, qui les libèrent d’exportations asservissantes ; ce que veulent les taxis, c’est une régulation qui les sortent de l’endettement des licences et des monopoles ; ce que veulent les salariés, c’est ne plus être des variables d’ajustement, de vivre dignement, sans l’obsession de la précarité, avec un salaire de base qui les protège du chômage. Ils ne refusent pas le changement mais ils ne veulent plus être considérés comme des pions… 

Une écologie de libération qui réforme sans brutaliser ? Chiche ! 

Noël Mamère Le 08/02/2016. 
 https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/080216/debloquer-la-societe

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