lundi 22 février 2016

Réforme du droit du travail : un projet incohérent et dangereux. C'est une régression, par Josepha Dirringer


Élaboré sur la base des préconisations du rapport Combrexelle et du rapport Badinter, le projet de loi "visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les effectifs" pose les bases du futur Code du travail.

Sont-ils parvenus à construire ne serait-ce que l’ébauche d’un ensemble normatif cohérent, synthétique et accessible ? Le début du projet pouvait le laisser penser. D’abord, proprement, le projet de loi inscrit les "principes essentiels" dégagés par la Commission Badinter.


Mais l’unité, la brièveté autant que la propreté académique ne donnent en réalité à voir qu’une nébuleuse de règles anémiées dont on ne sait pas comment les salariés et les employeurs pourront s’en saisir, ni même si le législateur se souviendra qu’elles sont là.

L’opération est habile, car elle permet d’uniformiser des principes variés qui n’ont ni la même valeur juridique ni la même force contraignante, et dont la signification ne s’impose pas toujours avec la même évidence.

Beaucoup d’oublis qui n’ont pourtant rien d’accessoire

Se parant d’un académisme à tendance anorexique, les instigateurs ont ainsi voulu débarrasser le droit du travail de ce qui leur semblait accessoire, pensant être en mesure de lui restituer sa pureté, atteindre son essence, faire apparaître son "cœur".

Pourtant, on dénombre beaucoup d’oublis qui n’ont pourtant rien d’accessoire : l’interdiction de recourir à des emplois précaires pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise ; l’interdiction des discriminations à l’embauche ; le droit du salarié de refuser toute modification de son contrat de travail ; l’obligation de l’employeur d’établir un règlement intérieur ; le droit à une rémunération proportionnelle au temps passé, corrélative à la qualification professionnelle du salarié et versée mensuellement ; le droit de reclassement, la priorité de réembauchage et les mesures d’accompagnement spécifiques offertes en cas licenciement pour motif économique, l’obligation de l’employeur de participer à l’emploi des personnes handicapées, l’obligation de participer au financement de la formation professionnelle ; les droits d’alerte des représentants des salariés, le principe de l’effet utile de l’information et de consultation ; le droit à un revenu de remplacement ou du droit d’accéder à un service public de l’emploi.

La déception grandit encore à propos du droit du temps de travail. Là encore, l’impression première était celle d’un travail soigné. Le projet distingue méthodiquement les lois d’"ordre public" et celles relevant du "champ de la négociation collective". Mais malgré cet effort, la lisibilité du droit du travail en sort meurtrie tant la notion d’ordre public y est malmenée.

Une légèreté conceptuelle blâmable, car trompeuse

Simplement définie, une règle d’ordre public est une règle impérative à laquelle il est interdit de déroger, c’est-à-dire que l’on ne peut écarter ou méconnaître. L’ordre public fixe donc les limites de ce qui est négociable.

On s’attendait donc à trouver sous les paragraphes intitulés "ordre public" les règles intangibles. Et bien tel n’est pas le cas. À titre d’exemple, l’article L. 3121-9, inscrit sous un paragraphe "Ordre public", dispose que "les heures supplémentaires se décomptent sur la semaine". Cependant, lit-on plus loin, après l’article L. 3121-40, que :

"Lorsqu’il est mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine [généralement par accord collectif ce qui indique donc que c’est négociable], les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue de cette période de référence."


Le projet habilite donc les interlocuteurs sociaux à déroger à la période de référence qui est en principe la semaine et à fixer une période plus longue pouvant aller jusqu’à trois ans. Bref, l’article L. 3121-9 n’a rien d’une règle d’ordre public ou on en perd tous son latin.

Cette légèreté conceptuelle est blâmable, car trompeuse. Et de ces confusions, le projet de loi en est pétri ! Précisons à propos de cette disposition que ce n’est pas une erreur : un salarié pourra bien attendre trois ans, 1.095 jours, avant d’être payé de ses heures supplémentaires ! À lui d’être patient et de comprendre qu’il s’agit là d’une "protection pour les entreprises", si jamais elles sont décomptées et payées.

Un fourre-tout qui modifie ce qui venait de l’être

La promesse d’un droit cohérent et lisible s’évanouit encore un peu plus à mesure que l’on avance dans la lecture du projet. Une fois encore, le gouvernement s’est laissé guider par ses vieux démons. Comme l’a été la loi Macron, c’est un fourre-tout qui n’a de cesse de modifier ce qui venait de l’être, souvent à l’initiative des gouvernements Ayrault et Valls. Ainsi, se voient encore (et encore) modifier :

- le régime des accords de maintien de l’emploi (2013, 2015) en prévoyant que le salarié qui refuse l’application d’un accord portant préservation de l’emploi, peu important au demeurant l’existence de difficultés économiques conjoncturelles, sera licencié pour motif personnel et non pour motif économique ;

- les conditions d’entrée en vigueur des accords d’entreprise (2004, 2008, 2015), en permettant de contourner l’opposition des syndicats majoritaires ;

- les thèmes de négociation obligatoire dans l’entreprise (2013, 2015) , y ajoutant un pseudo droit à la déconnexion sans contrainte véritable pour l’employeur ;

- le compte personnel de formation (2013, 2014, 2015), modifiant une nouvelle fois la liste des formations éligibles ;

- Le travail à temps partiel (2013), dont la durée minimale de 24 heures n’est plus qu’une règle supplétive.

Ce texte ressemble à l’œuvre d’un canard sans tête

Ajoutons encore quelques pépites comme la barémisation des indemnités de licenciement, la non-réintégration des salariés licenciés économiques ayant moins de deux ans d’ancienneté en cas d’annulation du PSE ; la fixation par accord d’une cause automatique de licenciement pour motif économique évinçant tout contrôle juridictionnel ; le forfait jour libéré du respect des heures maximales de travail, etc.

Chaque entreprise a semble-t-il fait sa liste au Père Noël et l’activité de lobbys semble être bien rentabilisée. Qu’importe finalement que ce projet ressemble à l’œuvre d’un canard sans tête ou que certaines dispositions soient contraires aux normes constitutionnelles ou internationales.

Le droit à la santé des travailleurs ? Peu de chose. Écartons les heures maximales pour les forfaits jour et imputons les heures d’astreinte sur les heures de repos. La convention OIT n° 158 et les droits individuels des salariés licenciés ? Un non-événement. Allons vers la préconstitution des motifs économiques de licenciement. La protection des mineurs ? Un archaïsme. Laissons l’employeur demander aux apprentis de travailleurs 40 heures.

Manifestement, les exigences de clarté, de cohérence, de sécurité juridique et de protection des droits fondamentaux ne sont pas de celles qui ont guidé l’auteur de ce projet !

On ne simplifie pas le Code du travail, on le complexifie

Une autre chose est sure : il ne suffit pas de jouer aux vases communicants en ouvrant grand les vannes de la négociation collective pour simplifier le Code du travail. Le projet compte déjà 131 pages, regroupés en 52 articles et c’est sans compter les décrets. Tous, nous sommes dans un état d’écœurement, las d’être gavés par ces boulimiques de l’activité législative.

Et rien ne changera tant que le droit du travail sera perçu uniquement comme un vecteur d’efficacité économique qu’il convient de changer à chaque soubresaut du PIB et du taux de chômage. Rien ne changera non plus tant que l’on fera croire que l’essor de la négociation collective ira de pair avec un rétrécissement de la loi.

Ouvrons les yeux, car c’est l’inverse qui se produit : plus le champ de la négociation collective s’ouvre, plus le nombre d’habilitations légales augmente et le Code du travail se complexifie. Pour quel résultat ? Trois lois, un Code du travail évidé, pour seulement huit accords de maintien de l’emploi et aucun accord de mobilité interne !

Surtout, est-on si sûr que les normes négociées offrent tous les gages attendus dans un État de droit ? Les accords sont-ils si clairs, si accessibles ? Sans doute pas.

L'entreprise, espace de confidentialité et de pouvoir ?

Le gouvernement lui-même n’a pas pas pensé utile de faire précéder son projet de loi d’une concertation entre interlocuteurs sociaux comme lui impose l’article L. 1 du Code du travail. Et ils seront moins encore à l’avenir, le projet reconnaissant à l’employeur le pouvoir de s’opposer à la publicité des accords conclus "s’il estime que sa diffusion serait préjudiciable à l’entreprise".

Bas les masques : voilà le secret des affaires qui revient contre l’accès au droit, la liberté syndicale et la liberté d’information. Là apparaît la véritable conception de l’entreprise portée par le gouvernement : un espace de confidentialité et de pouvoir. Il n’est plus question pour le droit du travail d’encadrer ce pouvoir privé, de chercher à le civiliser, d’en faire un espace public et démocratique.

Il convient de le renforcer, de le légitimer et le libérer afin qu’il puisse enfin agir dans "l’intérêt de l’entreprise", de son "bon fonctionnement" et de sa "compétitivité", même si cela signifie accroître le risque d’arbitraire, imposer des sacrifices aux salariés, des limitations à leurs droits individuels, et des atteintes à leur santé.

Un nouvel imaginaire nous est proposé. Malheureusement, il ne fait pas rêver !

http://m.leplus.nouvelobs.com/contribution/1483974-reforme-du-droit-du-travail-un-projet-incoherent-et-dangereux-c-est-une-regression.html#

Josepha Dirringer est juriste, maître de conférences à l’université de Rennes 1. Spécialiste en droit du travail, ses travaux de recherche portent sur le droit de la négociation et la transformation des sources en droit du travail, question qui a fait l’objet de sa thèse. Co-auteure du livre "Le Code du travail en sursis ?" paru en 2015 aux éditions Syllepse, elle est aujourd’hui investie dans la Commission "Pour un autre Code du travail", composée d’une dizaine d’enseignants-chercheurs en droit du travail. Cette commission ambitionne, en lien avec certaines organisations syndicales, d’élaborer un Code du travail qui soit protecteur des salariés et des demandeurs d’emploi. Elle est, par ailleurs, proche du Front de gauche.

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