Le tribunal a tranché, les paysans installés sur la ZAD peuvent être expulsés à tout moment. Choc, colère et détermination.
Scène boulevardière, chez Denise et Joël Bizeul. « Bonjour, je suis la recenseuse, vous avez rempli les formulaires ? »
Non, ils ont d’autres chats à fouetter en ce samedi pluvieux. Mercredi
27 janvier, un huissier leur a notifié, chèque d’indemnisation à la
main, l’expulsion immédiate de leur exploitation, à La Rochette. Elle
empiète sur le périmètre retenu pour la construction, à
Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), d’un vaste aéroport sur 2 000
hectares qui cristallise une très importante contestation depuis près de
dix ans. L’agente fait son travail. « Vous habitiez ici l’an
dernier ? » « Oui, et même depuis toujours… » « Emploi à plein temps ? »
« Bien plus… Mais je ne sais pas jusqu’à quand. » Il a averti, faussement enjoué, la petite entreprise qui vient relever son tank : « Attention, désormais vous achetez du lait illégal ! »
Au total, l’huissier a visité les quatre fermes et les onze habitations encore occupées par des habitants « historiques » sur la « zone à défendre » (ZAD), comme l’ont rebaptisée les opposants. Il a été éconduit partout, comme depuis le lancement de la procédure d’expropriation lancée il y a quatre ans par Ago Vinci, le concessionnaire du projet d’aéroport. « On ne s’est pas emmerdé à résister toutes ces années pour lâcher maintenant ! », peste Joël Bizeul. L’éleveur, qui vit en marge à l’est de la ZAD, assume sa discrétion au sein du mouvement de résistance. Pas de macaron « Non à l’aéroport » sur sa voiture. « En vacances, on s’applique à ne pas dire d’où l’on vient, indique Denise. Parce que tout le monde connaît Notre-Dame-des-Landes en France, et qu’on finit par ne plus parler que de ça. »
La peau tannée par le grand air, ces irréductibles portent sur leur interlocuteur le regard perçant de ceux à qui on ne la raconte pas. « On est dans le dur, maintenant… », appuie Sylvain Fresneau. Ce paysan a gagné une indélébile aura sur la ZAD pour avoir ouvert ses bâtiments de la « Vache rit » à des dizaines de jeunes traqués par les CRS de l’opération « César » venus « nettoyer » les lieux de leurs occupants illégaux pendant l’hiver 2012. Ses yeux clairs s’échappent fugacement vers les haies.
« Troupeau, hangars, outils, tout ce qui fait partie de l’exploitation est susceptible d’être saisi et mis sous séquestre à n’importe quel moment. » Pour les bâtiments d’habitation, le juge a certes accordé deux mois de grâce aux familles pour abandonner la place. « Mais on n’a pas de plan B, c’est notre vie dans un garde-meuble ! » Sa femme, Brigitte, ne veut plus s’exprimer, mal au ventre. Il nous glisse au passage : « N’allez pas voir Hervé. » Un taiseux dont l’état psychologique préoccupe sur la ZAD. « S’ils s’approchent de sa ferme, je me coucherai en travers ! », lance Sylvain Fresneau.
Dans la famille de Dominique Fresneau, cousin de Sylvain, les mêmes dilemmes prennent le dessus. C’est Alphonse, le père, 84 ans, qui occupe la maison où se sont succédé cinq générations sur la lande. « On l’a décidé entre nous : si papa en vient à ne plus dormir la nuit, on le met à l’abri, et nous, les enfants, nous tiendrons la maison face aux gendarmes. »
Brassés, estourbis par le « coup de massue » – les accords passés avec les politiques écartaient l’expulsion tant que courent des recours judiciaires (près de 20 encore à ce jour) –, mais pourtant pas si abattus. Car derrière la brutalité immédiate du rendu, reconnaissent les paysans, c’est une demi-victoire que leur a accordée le juge, dont la décision d’expulsion était écrite, aboutissement légal de la procédure d’expropriation. En effet, les deux mois de sursis octroyés pour les locaux d’habitation sont une singularité juridique inusitée [^1]. Et surtout, l’astreinte financière exigée par le plaignant n’a pas été retenue par le magistrat, arguant des « faibles revenus » des familles concernées.
Au total, l’huissier a visité les quatre fermes et les onze habitations encore occupées par des habitants « historiques » sur la « zone à défendre » (ZAD), comme l’ont rebaptisée les opposants. Il a été éconduit partout, comme depuis le lancement de la procédure d’expropriation lancée il y a quatre ans par Ago Vinci, le concessionnaire du projet d’aéroport. « On ne s’est pas emmerdé à résister toutes ces années pour lâcher maintenant ! », peste Joël Bizeul. L’éleveur, qui vit en marge à l’est de la ZAD, assume sa discrétion au sein du mouvement de résistance. Pas de macaron « Non à l’aéroport » sur sa voiture. « En vacances, on s’applique à ne pas dire d’où l’on vient, indique Denise. Parce que tout le monde connaît Notre-Dame-des-Landes en France, et qu’on finit par ne plus parler que de ça. »
La peau tannée par le grand air, ces irréductibles portent sur leur interlocuteur le regard perçant de ceux à qui on ne la raconte pas. « On est dans le dur, maintenant… », appuie Sylvain Fresneau. Ce paysan a gagné une indélébile aura sur la ZAD pour avoir ouvert ses bâtiments de la « Vache rit » à des dizaines de jeunes traqués par les CRS de l’opération « César » venus « nettoyer » les lieux de leurs occupants illégaux pendant l’hiver 2012. Ses yeux clairs s’échappent fugacement vers les haies.
« Troupeau, hangars, outils, tout ce qui fait partie de l’exploitation est susceptible d’être saisi et mis sous séquestre à n’importe quel moment. » Pour les bâtiments d’habitation, le juge a certes accordé deux mois de grâce aux familles pour abandonner la place. « Mais on n’a pas de plan B, c’est notre vie dans un garde-meuble ! » Sa femme, Brigitte, ne veut plus s’exprimer, mal au ventre. Il nous glisse au passage : « N’allez pas voir Hervé. » Un taiseux dont l’état psychologique préoccupe sur la ZAD. « S’ils s’approchent de sa ferme, je me coucherai en travers ! », lance Sylvain Fresneau.
« Coup de massue »
Silence au village du Liminbout, Sylvie et Marcel Thébault se regardent. « On a changé d’état. Sous le coup d’une expropriation, nous étions encore protégés par la loi. Et les précaires expulsables, c’étaient les occupants illégaux de la ZAD, pas nous. S’il ne s’agissait que de nous… Le point faible, ce sont les enfants. Papa et maman, si vous n’avez plus de boulot, comment on va vivre ? » Les CRS débarquant une aube prochaine et tirant leur fils du lit ? Jusqu’où imposer l’ultime résistance aux très proches, qu’il faut protéger et rassurer ? – « dont les grands-parents, qui vivent loin », souligne Denise. « On tiendra les deux mois de sursis, parce qu’il y a tout le monde derrière nous. Mais au-delà, je ne signe rien », avoue Marcel.Dans la famille de Dominique Fresneau, cousin de Sylvain, les mêmes dilemmes prennent le dessus. C’est Alphonse, le père, 84 ans, qui occupe la maison où se sont succédé cinq générations sur la lande. « On l’a décidé entre nous : si papa en vient à ne plus dormir la nuit, on le met à l’abri, et nous, les enfants, nous tiendrons la maison face aux gendarmes. »
Brassés, estourbis par le « coup de massue » – les accords passés avec les politiques écartaient l’expulsion tant que courent des recours judiciaires (près de 20 encore à ce jour) –, mais pourtant pas si abattus. Car derrière la brutalité immédiate du rendu, reconnaissent les paysans, c’est une demi-victoire que leur a accordée le juge, dont la décision d’expulsion était écrite, aboutissement légal de la procédure d’expropriation. En effet, les deux mois de sursis octroyés pour les locaux d’habitation sont une singularité juridique inusitée [^1]. Et surtout, l’astreinte financière exigée par le plaignant n’a pas été retenue par le magistrat, arguant des « faibles revenus » des familles concernées.
Cette décision est
cruciale : à raison de 200 à 1 000 euros par jour selon les foyers, les
paysans conviennent qu’ils auraient probablement jeté l’éponge sans
délai, évitant à Ago Vinci le recours à la force publique, désastreux en
termes d’image. « Imagine-t-on la France entière assistant au
déménagement d’un troupeau de vaches devant des paysans en larmes ? Le
coût politique serait considérable », estime Marcel Thébault. La
tactique d’Ago Vinci a échoué, relèvent les conseillers juridiques des
résistants, et la patate chaude est désormais entre les mains du
gouvernement.
« Si la justice nous a fait passer au statut de squatteurs chez
nous, nous ne sommes pas immédiatement en danger, nous pouvons continuer
à nous battre ! », souligne Dominique Fresneau, par ailleurs
coprésident de l’Association citoyenne intercommunale des populations
concernées par l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa).
Car si le front domestique des foyers concernés est fragilisé, les barricades extérieures inspirent toute confiance. La mobilisation ? « Énorme ! » Dans les fermes notifiées, on se repasse le film du 9 janvier, quand 20 000 personnes ont répondu à l’appel lancé par les organisations de résistance pour bloquer le périphérique de Nantes avant l’audience. « Ça fait un moment que la lutte ne nous appartient plus, souligne Dominique Fresneau. Notre force, ici, c’est que les copains ne sont pas près de lâcher le morceau. »
Michel Thault fait partie des soutiens assidus à la lutte des anti-aéroport. Paysan retraité du département, il voit converger dans les assemblées générales, qui se multiplient ces derniers jours, des centaines d’agriculteurs venus du Morbihan, du Maine-et-Loire ou de Vendée comme Gaël Montassier, dont le tracteur a été convoyé au Liminbout par un ami qui a mobilisé sa remorque. « Le monde agricole en a marre… Des emplois ? L’aéroport va en détruire alors que la ZAD pourrait accueillir une centaine d’exploitants ! »
C’est en partie le cas depuis l’échec de l’opération « César » : les dizaines d’occupants illégaux du site (qui n’aiment pas trop le terme de zadistes) ont relancé les cultures et un peu d’élevage sur une partie des 800 hectares expropriés, parfois avec l’aide des paysans locaux. « Nous voilà désormais tous squatteurs et agriculteurs, malgré nous, sourit Michel, habitant depuis trois ans du lieu-dit « Les 100 Noms ». Mais cette décision d’expulsion est indigne, elle génère une vraie souffrance dans les familles. »
Sur place, les habitants en sont convaincus, le gouvernement s’est mis dans un cul-de-sac dans son acharnement à soutenir l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes alors que les arguments de ses promoteurs sont tous contestés. « Les gens ont compris que le projet était mauvais, et ils ne permettront pas qu’il se réalise, affirme Dominique Fresneau. Nous avons tous les éléments aujourd’hui pour le démontrer, la décision est plus que jamais entre les mains des politiques, il faut que nos arguments soient enfin entendus. »
La conclusion semble désormais proche, les habitants en sont convaincus, alors que la campagne pour la présidentielle de 2017 est bel et bien lancée. Les spéculations vont bon train pour tenter de deviner le prochain coup du ministère de l’Intérieur et de la préfecture de Loire-Atlantique : à partir du 10 février s’ouvrent plusieurs périodes gelant le démarrage potentiel de travaux en raison de la nécessité de respecter les cycles de reproduction d’espèces protégées dans les zones humides – la ZAD en est une, dotée d’une biodiversité particulièrement riche à l’échelle locale. « Mais si l’État cherche à passer en force et vite, ça va mal finir, redoute Joël Bizeul. C’est un autre Sivens qui se prépare, à la puissance 10… »
Cette perspective semble toutefois s’éloigner. Dimanche dernier, Ségolène Royal jugeait « impossible » une évacuation par la force – « On ne va pas finir avec une guerre civile à Notre-Dame-des-Landes » [^2]. Alors, la victoire proche ? « Gagner, perdre, ça n’a pas de sens, repousse philosophe Michel Thault, qui n’envisage pourtant pas une seconde de baisser les bras. Ce qui compte, c’est vivre. Et vivre sans aéroport. »
[^1] Ago Vinci a quinze jours pour faire appel.
[^2] « C politique », France 5, 31 janvier.
Les travaux ont bel et bien démarré, samedi dernier, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Mais pas de pelleteuse siglée d’une grande entreprise du BTP à l’horizon, ni de préfabriqués au logo d’Ago Vinci. La main-d’œuvre arbore l’écusson « Non à l’aéroport », et l’on afflue, en dépit d’une météo rebutante, pour proposer ses services. Dans un hangar de la Wardine, une ferme squattée entre le carrefour de La Saulce et La Châtaigne, « le bourreau d’intérim » jongle pour répartir les bénévoles sur l’un des trente chantiers proposés cette fin de semaine sur la ZAD.
C’est déjà choisi pour un gars à dreadlocks qui extirpe des sons d’un piano déglingué, accompagné à gré par des amateurs de passage. « On m’a donné trois jours pour le réparer ! » Sara et deux copains sont venus de région parisienne, train et auto-stop depuis Orvault, en banlieue nantaise. Baskets, jogging et cuir, les cheveux déjà dégoulinants, Hugo accepte, philosophe, de « se dégueulasser total ». Un grand barbu résidant à la Wardine prend pitié. « Je vais te trouver des bottes. » Il pleut sans discontinuer. Les ornières se creusent, la terre se liquéfie et s’immisce partout. Notre-Dame-des-Landes, zone humide, répètent les naturalistes. « Ici, c’est le peuple de boue ! », se marre Geneviève Coiffard, omniprésente cheville ouvrière de la mobilisation citoyenne contre l’aéroport.
L’hébergement : un casse-tête. « Ne comptez pas dormir sur la ZAD, nous avait-on mis en garde, c’est blindé de partout. » Plus loin dans le hangar, on taille au quintal dans le légume pour préparer les repas. Les organisateurs attendaient deux cents personnes, il s’en est inscrit plus de cinq cents, et près de trois cents de plus se sont spontanément présentées à la Wardine.
En novembre dernier, alors que le Premier ministre, Manuel Valls, réitère son onction au projet d’aéroport, le concessionnaire Ago Vinci lance ses premiers appels d’offres pour des travaux préparatoires sur la ZAD. Sur place, la réaction est immédiate : les occupants – une centaine de personnes – décident de lancer leurs propres « appels d’offres » pour aménager les lieux de vie. « Nous voulons casser les discours qui nous présentent comme des “ultra-violents”, commente Manu, résident aux Domaines, et contraster avec Ago Vinci, très discret sur ses travaux et les entreprises candidates. Chez nous, tout est transparent. »
Devant le flot humain, les chantiers ont été démultipliés. Une vingtaine de Dijonnais sont venus avec leur projet, la signalisation des entrées de la ZAD. Aux Fosses noires, les bâtiments squattés abritent un atelier stratégique où sèchent des pâtes et fermentent bière et levain – 120 kilos de pain fournis dans la seule journée de samedi pour alimenter les chantiers. « On manque de place, on va faire une mezzanine », explique Mika à une douzaine d’intérimaires. Des pains de sarrasin simulent poutres et poteaux. « Je ne suis pas un spécialiste. Mon schéma a été validé par un copain charpentier, mais si quelqu’un a une meilleure idée… »
Dehors, il y a plus de bras que de pioches. On se relaie pour creuser une rigole où un drain devrait assainir la cuvette, embourbée dès qu’il pleut sur les Fosses noires. Des clôtures pour le « Groupe moutons » aux « 24 hectares » ; la création de buttes de permaculture à la Bellich’ ; la construction d’un local de séchage dans le champ Rouge et Noir pour le « Groupe plantes médicinales » ; d’un mur d’escalade à la Grée ; le nettoyage du chemin d’accès aux 100 Noms… Il faut naviguer sur un ruisseau de boue pour accéder au hameau de La Châtaigne, l’un des symboles de la résistance aux CRS de l’opération « César » fin 2012. Une ruche. Ça débite, ça scie, ça cloue. Dans le bosquet voisin, une tronçonneuse prélève des bouleaux morts, source de barreaux pour un sentier de bois surélevé mettant hors d’eau l’accès à des salles de couchage, ressource précieuse sur la ZAD. Michel crie à la cantonade. « Je suis aux 100 Noms, je fais une petite vidéo pour documenter les chantiers, il y en a qui ne veulent pas apparaître ? » Question rituelle, point très sensible. Un grand gars explique : « On sait que les flics épluchent tous les clichés… »
Autre haut lieu de la lutte, la ferme de Bellevue, sauvée in extremis des bulldozers d’Ago Vinci début 2013 par une occupation qui a vu les paysans du collectif départemental Copain 44 en première ligne. Ils sont là, aussi lestes autour du muscadet que de la bassine à mortier pour retaper au pas de course une salle de réunion dans une grange. « Quand les paysans font du BTP, ça déménage…, sourit Sébastien, âme de la ferme réactivée, qui produit lait, fromages et yaourts pour la ZAD. J’ai eu un coup de mou en décembre, avec les annonces de Valls, mais cette mobilisation, avec une telle diversité de militants, ça réconforte grave ! » Ils sont venus à quarante de Rouen. « On a vu plus d’une centaine de personnes aux réunions, et plein de nouvelles têtes, témoignent Camille et Alexia.
Des déçus du gouvernement, des opposés à l’aéroport, mais aussi, c’est nouveau, des gens qui veulent défendre le mode de vie qui se bâtit sur la ZAD – habitat sobre et écolo, agriculture naturelle, démocratie, échanges non commerciaux, médias citoyens… » Première visite à Notre-Dame-des-Landes, Pierre, enseignant, en reste baba. « Il y a une énergie assez fascinante, ces gens construisent pour le futur. Rien à voir avec une bande de punks à chien alcoolisés, comme on les présente dans certains médias ! »
Au village du Liminbout, la tornade collective aménage l’auberge des « Q de plomb », chez Claude, lieu de restauration réputé, « porc et pommes de terre de la ZAD, vous m’en direz des nouvelles ! ». Dehors, c’est le test de la bourrasque. Nico, qui commente la météo par le menu, fait la moue : « Cinq minutes d’eau dans la prochaine heure… » Ça glisse comme sur les plumes d’un canard. Gars et filles débroussaillent comme au soleil. Dans le marécage, des plots de béton surgissent pour la création d’une bergerie.
Et puis soudain, le grain de sable. Une dizaine de syndicalistes de la CGT-ZAD, Collectif de grève des « travailleureuses » de la Zone appels d’offres, déboule avec une banderole aussi noire que leurs intentions, appelant à la grève générale d’une demi-heure. Un porte-voix rappelle l’article 7 des conventions collectives de la ZAD : pas de travail bénévole sans pauses régulières avec des boissons chaudes ou froides. « Le droit à la paresse est inaliénable et inconditionnel, avec garantie de ressources ainsi que de couchage et de nourriture ! » Il est presque 13 heures. Chez Claude, on a mis les lasagnes à cuire. Les chevelus de la CGT-ZAD distribuent de la bière. Le prolétariat exploité par la ZAD fraternise sans difficulté.
À lire : Défendre la ZAD, par le collectif Mauvaise troupe, éd. L’Éclat, 45 p., 3 euros. Un livret produit par les occupants, qui présente notamment l’état des réflexions collectives sur l’avenir de la ZAD, « quand le projet d’aéroport tombera ».
Une grande manifestation de défense de la ZAD aura lieu le 27 février, sur place ou à Nantes.
Car si le front domestique des foyers concernés est fragilisé, les barricades extérieures inspirent toute confiance. La mobilisation ? « Énorme ! » Dans les fermes notifiées, on se repasse le film du 9 janvier, quand 20 000 personnes ont répondu à l’appel lancé par les organisations de résistance pour bloquer le périphérique de Nantes avant l’audience. « Ça fait un moment que la lutte ne nous appartient plus, souligne Dominique Fresneau. Notre force, ici, c’est que les copains ne sont pas près de lâcher le morceau. »
Protéger le camp
Il y a ceux qui sont sous l’épée de Damoclès de l’expulsion, et les autres, qui risquent les lacrymogènes, la confiscation du véhicule, la garde à vue, une condamnation, salue Marcel Thébault. « Chacun d’entre nous sait combien il tient à cette cause. » La veille, démonstration de force destinée à exprimer la détermination des paysans locaux : la ferme du Liminbout s’est retrouvée entourée en quelques heures d’un cordon de 80 tracteurs enchaînés, vieille tactique de Far West pour protéger le camp. « Une répétition. En cas d’intervention, ils seront bien plus nombreux, et avec des conducteurs en colère, assure Sylvie Thébault. Les CRS auront le choix entre l’encerclement ou la fuite rapide… »Michel Thault fait partie des soutiens assidus à la lutte des anti-aéroport. Paysan retraité du département, il voit converger dans les assemblées générales, qui se multiplient ces derniers jours, des centaines d’agriculteurs venus du Morbihan, du Maine-et-Loire ou de Vendée comme Gaël Montassier, dont le tracteur a été convoyé au Liminbout par un ami qui a mobilisé sa remorque. « Le monde agricole en a marre… Des emplois ? L’aéroport va en détruire alors que la ZAD pourrait accueillir une centaine d’exploitants ! »
C’est en partie le cas depuis l’échec de l’opération « César » : les dizaines d’occupants illégaux du site (qui n’aiment pas trop le terme de zadistes) ont relancé les cultures et un peu d’élevage sur une partie des 800 hectares expropriés, parfois avec l’aide des paysans locaux. « Nous voilà désormais tous squatteurs et agriculteurs, malgré nous, sourit Michel, habitant depuis trois ans du lieu-dit « Les 100 Noms ». Mais cette décision d’expulsion est indigne, elle génère une vraie souffrance dans les familles. »
« Mettre le paquet »
L’époque des irritations réciproques est ancienne, les deux populations de la ZAD se sont apprivoisées et se respectent aujourd’hui. Les occupants « récents » se sont très largement mobilisés pour les habitants « historiques », dans une « effervescence complètement folle », admire Guillaume, qui mène l’atelier de confection de pain des Fosses noires, l’une des deux boulangeries de la ZAD. « Ce jugement a des conséquences irréversibles pour des personnes qui nous ont appelés un jour pour partager la vie sur ce territoire en péril, avec lesquelles nous avons de nombreux liens politiques, affectifs et agricoles, souligne Jojo, l’une des têtes pensantes de la ZAD. L’un des fondements de la lutte est en péril si nous ne réagissons pas fortement aujourd’hui. L’heure est venue de mettre le paquet pour arracher l’abandon du projet d’Ago Vinci. »Sur place, les habitants en sont convaincus, le gouvernement s’est mis dans un cul-de-sac dans son acharnement à soutenir l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes alors que les arguments de ses promoteurs sont tous contestés. « Les gens ont compris que le projet était mauvais, et ils ne permettront pas qu’il se réalise, affirme Dominique Fresneau. Nous avons tous les éléments aujourd’hui pour le démontrer, la décision est plus que jamais entre les mains des politiques, il faut que nos arguments soient enfin entendus. »
La conclusion semble désormais proche, les habitants en sont convaincus, alors que la campagne pour la présidentielle de 2017 est bel et bien lancée. Les spéculations vont bon train pour tenter de deviner le prochain coup du ministère de l’Intérieur et de la préfecture de Loire-Atlantique : à partir du 10 février s’ouvrent plusieurs périodes gelant le démarrage potentiel de travaux en raison de la nécessité de respecter les cycles de reproduction d’espèces protégées dans les zones humides – la ZAD en est une, dotée d’une biodiversité particulièrement riche à l’échelle locale. « Mais si l’État cherche à passer en force et vite, ça va mal finir, redoute Joël Bizeul. C’est un autre Sivens qui se prépare, à la puissance 10… »
Cette perspective semble toutefois s’éloigner. Dimanche dernier, Ségolène Royal jugeait « impossible » une évacuation par la force – « On ne va pas finir avec une guerre civile à Notre-Dame-des-Landes » [^2]. Alors, la victoire proche ? « Gagner, perdre, ça n’a pas de sens, repousse philosophe Michel Thault, qui n’envisage pourtant pas une seconde de baisser les bras. Ce qui compte, c’est vivre. Et vivre sans aéroport. »
[^1] Ago Vinci a quinze jours pour faire appel.
[^2] « C politique », France 5, 31 janvier.
Sur la ZAD, « le peuple de boue »
Pour contrer Ago Vinci, les occupants organisent une trentaine de chantiers collectifs. Grosse affluence malgré les intempéries.
Les travaux ont bel et bien démarré, samedi dernier, sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Mais pas de pelleteuse siglée d’une grande entreprise du BTP à l’horizon, ni de préfabriqués au logo d’Ago Vinci. La main-d’œuvre arbore l’écusson « Non à l’aéroport », et l’on afflue, en dépit d’une météo rebutante, pour proposer ses services. Dans un hangar de la Wardine, une ferme squattée entre le carrefour de La Saulce et La Châtaigne, « le bourreau d’intérim » jongle pour répartir les bénévoles sur l’un des trente chantiers proposés cette fin de semaine sur la ZAD.
C’est déjà choisi pour un gars à dreadlocks qui extirpe des sons d’un piano déglingué, accompagné à gré par des amateurs de passage. « On m’a donné trois jours pour le réparer ! » Sara et deux copains sont venus de région parisienne, train et auto-stop depuis Orvault, en banlieue nantaise. Baskets, jogging et cuir, les cheveux déjà dégoulinants, Hugo accepte, philosophe, de « se dégueulasser total ». Un grand barbu résidant à la Wardine prend pitié. « Je vais te trouver des bottes. » Il pleut sans discontinuer. Les ornières se creusent, la terre se liquéfie et s’immisce partout. Notre-Dame-des-Landes, zone humide, répètent les naturalistes. « Ici, c’est le peuple de boue ! », se marre Geneviève Coiffard, omniprésente cheville ouvrière de la mobilisation citoyenne contre l’aéroport.
L’hébergement : un casse-tête. « Ne comptez pas dormir sur la ZAD, nous avait-on mis en garde, c’est blindé de partout. » Plus loin dans le hangar, on taille au quintal dans le légume pour préparer les repas. Les organisateurs attendaient deux cents personnes, il s’en est inscrit plus de cinq cents, et près de trois cents de plus se sont spontanément présentées à la Wardine.
En novembre dernier, alors que le Premier ministre, Manuel Valls, réitère son onction au projet d’aéroport, le concessionnaire Ago Vinci lance ses premiers appels d’offres pour des travaux préparatoires sur la ZAD. Sur place, la réaction est immédiate : les occupants – une centaine de personnes – décident de lancer leurs propres « appels d’offres » pour aménager les lieux de vie. « Nous voulons casser les discours qui nous présentent comme des “ultra-violents”, commente Manu, résident aux Domaines, et contraster avec Ago Vinci, très discret sur ses travaux et les entreprises candidates. Chez nous, tout est transparent. »
Devant le flot humain, les chantiers ont été démultipliés. Une vingtaine de Dijonnais sont venus avec leur projet, la signalisation des entrées de la ZAD. Aux Fosses noires, les bâtiments squattés abritent un atelier stratégique où sèchent des pâtes et fermentent bière et levain – 120 kilos de pain fournis dans la seule journée de samedi pour alimenter les chantiers. « On manque de place, on va faire une mezzanine », explique Mika à une douzaine d’intérimaires. Des pains de sarrasin simulent poutres et poteaux. « Je ne suis pas un spécialiste. Mon schéma a été validé par un copain charpentier, mais si quelqu’un a une meilleure idée… »
Dehors, il y a plus de bras que de pioches. On se relaie pour creuser une rigole où un drain devrait assainir la cuvette, embourbée dès qu’il pleut sur les Fosses noires. Des clôtures pour le « Groupe moutons » aux « 24 hectares » ; la création de buttes de permaculture à la Bellich’ ; la construction d’un local de séchage dans le champ Rouge et Noir pour le « Groupe plantes médicinales » ; d’un mur d’escalade à la Grée ; le nettoyage du chemin d’accès aux 100 Noms… Il faut naviguer sur un ruisseau de boue pour accéder au hameau de La Châtaigne, l’un des symboles de la résistance aux CRS de l’opération « César » fin 2012. Une ruche. Ça débite, ça scie, ça cloue. Dans le bosquet voisin, une tronçonneuse prélève des bouleaux morts, source de barreaux pour un sentier de bois surélevé mettant hors d’eau l’accès à des salles de couchage, ressource précieuse sur la ZAD. Michel crie à la cantonade. « Je suis aux 100 Noms, je fais une petite vidéo pour documenter les chantiers, il y en a qui ne veulent pas apparaître ? » Question rituelle, point très sensible. Un grand gars explique : « On sait que les flics épluchent tous les clichés… »
Autre haut lieu de la lutte, la ferme de Bellevue, sauvée in extremis des bulldozers d’Ago Vinci début 2013 par une occupation qui a vu les paysans du collectif départemental Copain 44 en première ligne. Ils sont là, aussi lestes autour du muscadet que de la bassine à mortier pour retaper au pas de course une salle de réunion dans une grange. « Quand les paysans font du BTP, ça déménage…, sourit Sébastien, âme de la ferme réactivée, qui produit lait, fromages et yaourts pour la ZAD. J’ai eu un coup de mou en décembre, avec les annonces de Valls, mais cette mobilisation, avec une telle diversité de militants, ça réconforte grave ! » Ils sont venus à quarante de Rouen. « On a vu plus d’une centaine de personnes aux réunions, et plein de nouvelles têtes, témoignent Camille et Alexia.
Des déçus du gouvernement, des opposés à l’aéroport, mais aussi, c’est nouveau, des gens qui veulent défendre le mode de vie qui se bâtit sur la ZAD – habitat sobre et écolo, agriculture naturelle, démocratie, échanges non commerciaux, médias citoyens… » Première visite à Notre-Dame-des-Landes, Pierre, enseignant, en reste baba. « Il y a une énergie assez fascinante, ces gens construisent pour le futur. Rien à voir avec une bande de punks à chien alcoolisés, comme on les présente dans certains médias ! »
Au village du Liminbout, la tornade collective aménage l’auberge des « Q de plomb », chez Claude, lieu de restauration réputé, « porc et pommes de terre de la ZAD, vous m’en direz des nouvelles ! ». Dehors, c’est le test de la bourrasque. Nico, qui commente la météo par le menu, fait la moue : « Cinq minutes d’eau dans la prochaine heure… » Ça glisse comme sur les plumes d’un canard. Gars et filles débroussaillent comme au soleil. Dans le marécage, des plots de béton surgissent pour la création d’une bergerie.
Et puis soudain, le grain de sable. Une dizaine de syndicalistes de la CGT-ZAD, Collectif de grève des « travailleureuses » de la Zone appels d’offres, déboule avec une banderole aussi noire que leurs intentions, appelant à la grève générale d’une demi-heure. Un porte-voix rappelle l’article 7 des conventions collectives de la ZAD : pas de travail bénévole sans pauses régulières avec des boissons chaudes ou froides. « Le droit à la paresse est inaliénable et inconditionnel, avec garantie de ressources ainsi que de couchage et de nourriture ! » Il est presque 13 heures. Chez Claude, on a mis les lasagnes à cuire. Les chevelus de la CGT-ZAD distribuent de la bière. Le prolétariat exploité par la ZAD fraternise sans difficulté.
À lire : Défendre la ZAD, par le collectif Mauvaise troupe, éd. L’Éclat, 45 p., 3 euros. Un livret produit par les occupants, qui présente notamment l’état des réflexions collectives sur l’avenir de la ZAD, « quand le projet d’aéroport tombera ».
Une grande manifestation de défense de la ZAD aura lieu le 27 février, sur place ou à Nantes.
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