"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
jeudi 18 février 2016
Projet de loi El Khomri : un vrai travail de droite, par Jérôme Latta (Regards.fr)
Le projet de loi sur (ou plutôt contre) le droit du travail prévoit bien plus que la disparition des 35 heures : l’abandon des salariés, la généralisation de leur précarisation et un extraordinaire reniement politique. Sans aucun effet à espérer pour l’emploi.
« Le projet de loi El Khomri va dans le bon sens. » On sent que Pierre Gattaz a de plus en plus de mal à cacher son bonheur, et qu’il doit même devenir frustrant, pour lui, de réfréner son enthousiasme. De fait, le Medef ne doit pas en croire ses yeux, à voir un gouvernement de "gauche" devancer ses vœux avec un tel zèle.
Ainsi se garde-t-il une marge : le chemin qui peut être parcouru « dans le bon sens » ne semble plus comporter de limites, et le patronat se ménage aussi la perspective d’une alternance à droite qui ne pourra que les repousser.
Bien sûr, il ne s’agit à ce stade que de propositions, dont la révélation progressive sert à vérifier l’apathie du corps social et politique. Mais leur philosophie exprime – après la déchéance de nationalité et cette fois sur le terrain social – les extraordinaires reniements d’un pouvoir qui envisage même, pour couronner le tout, le recours à l’article 49.3.
La "flexisécurité", seulement pour les entreprises
Le produit vedette de ce catalogue, c’est bien sûr le coup de grâce assené aux 35 heures, avec une durée de travail qui se décidera au sein de l’entreprise, et pourra être portée à 12 heures par jour et plus aisément à 48 heures par semaine (voire, dans des "circonstances exceptionnelles" à 60 heures).
Mais la liste est très longue : extension du forfait-jour, fractionnement des 11 heures obligatoires de temps de repos quotidien, baisse de la majoration des heures supplémentaires, plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif, facilitation des licenciements économiques, primauté des accords d’entreprise, escamotage du contrôle par les instances publiques et judiciaires, etc. (lire une liste plus détaillée sur le site du Monde, ou cette analyse sur Mediapart).
C’est une nouvelle fois dans les "éléments de langage", dans le travestissement des mots que l’on mesure le mieux l’ampleur de la trahison. En guise de prologue, le quotidien Les Échos annonçait lundi que le gouvernement souhaitait « sécuriser le licenciement économique ». Il s’agissait bien de sécurité pour les employeurs, dont on il nous est dit qu’ils sont tétanisés par la peur d’embaucher.
Il n’y a pas si longtemps, le terme de "flexisécurité" – utilisé comme argument de vente – contenait encore l’idée qu’en échange de plus de flexibilité, le salarié obtiendrait plus de sécurité. Aujourd’hui, le double bonus revient exclusivement à l’entreprise, sans autre contrepartie. Et c’est encore dans la novlangue inepte d’Emmanuel Macron que l’on trouve le meilleur décryptage.
Le ministre a immédiatement salué ce projet de loi comme « une réforme importante parce qu’on sait que notre économie a besoin de davantage de flexibilité, de souplesse pour s’adapter aux changements contemporains, à l’accélération du monde, aux grandes transformations du monde, de nos économies ».
Les nécessités, la réalité, le monde qui change : tout l’attirail verbeux et creux qui justifie la capitulation devant ces « besoins de l’économie » qui ne recoupent plus jamais l’intérêt général.
Travailler plus pour gagner moins
« Il faut repenser les sécurités individuelles », dit aussi le locataire de Bercy. Repenser, c’est abandonner. Abandonner ce qui reste de la protection sociale (« On ne peut pas avoir une sécurité professionnelle qui fonctionne de la même façon qu’en 1945, il faut l’individualiser davantage »), et baptiser "individualisation" cet abandon du salarié et de toute forme de protection collective. Car il faut désormais protéger les entreprises contre les salariés, donner aux relations de travail cette "souplesse" qui sert à faire plier ces derniers, continuer d’occulter le rapport de forces structurellement inégal entre les deux parties.
« On va vers un droit du travail à la carte avec une primauté quasi systématique de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de temps de travail », estime le juriste Pascal Lokiec, qui évoque aussi l’encouragement du dumping social (cité par Mediapart).
« Qui peut croire sérieusement qu’avec 6,5 millions d’inscrits à Pôle emploi, allonger le temps de travail de ceux qui en ont déjà un pourrait faire reculer le chômage ? », écrit Guillaume Duval.
« Il s’agit de faire travailler plus ceux qui ont un travail au détriment de ceux qui n’en ont pas. L’ampleur du mensonge est fracassante », tonne Gérard Filoche qui déplore aussi l’enterrement du dialogue social.
« Demain, les salariés travailleront plus en étant moins bien payés qu’ils ne l’étaient auparavant, mais, pour autant, celui qui était à Pôle Emploi ne les rejoindra pas dans l’entreprise », résume Benoît Hamon.
Une complète décomposition politique
Peu importe, les représentants du gouvernement continuent d’affirmer que la réforme permettra aussi de « protéger les salariés », d’assurer « la protection du modèle français et des acquis sociaux » (Ségolène Royal), alors que les dispositions concernant le compte personnel d’activité, qui doit leur permettre de conserver les droits sociaux tout au long d’une carrière, apparaissent comme un très vague codicille, le dernier wagon d’un train de mesures dont on voit bien la destination finale.
Pire, la politique économique menée depuis 2012, outre qu’elle a déjà fait la preuve de son inefficacité en matière d’emploi, s’inscrit à rebours d’évolutions qui obligent à repenser la définition et le partage du travail, au lieu de précipiter la précarisation générale.
L’exécutif pourrait mieux assumer la formidable entreprise de régression sociale qu’il met en œuvre, sa contribution active à l’annulation des conquêtes accomplies par le mouvement ouvrier et la gauche politique. Idéologiquement, sa position est intenable, tout comme est devenu insensé l’adjectif "socialiste" encore accolé au parti dont il est issu. Un des effets de la fuite en avant du gouvernement, qui s’apparente à une complète décomposition politique, est le confort offert à ses probables successeurs de droite après 2017, d’ores et déjà poussés à la surenchère en matière de démantèlement des droits sociaux.
Un gouvernement dont on retiendra qu’il a massivement adopté les idées de son opposition, sans même attendre de lui céder sa place dans un an.
Face à l’ampleur de cette dernière offensive contre le droit du travail, on peut toutefois espérer qu’une large résistance s’exprimera sans attendre une alternance qui n’en serait même pas une.
http://www.regards.fr/web/article/projet-de-loi-el-khomri-un-vrai
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