Sur la matinale de France Inter, jeudi, Manuel Valls a une fois de plus calomnié Clémentine Autain, l’accusant « de passer des accords avec les Frères musulmans ». L’incident n’a rien d’anodin : il dit qui est Valls et comment il veut faire campagne.
Cela fait six mois que, avec son complice en fripouillerie, Jean Marie Le Guen, il s’acharne contre elle en se livrant à une violente chasse aux sorcières (lire aussi "Au fond, qu’ai-je en commun avec Manuel Valls ?"). Clémentine Autain a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.
Les Décodeurs du Monde, pièces à l’appui, ont d’ores et déjà démonté l’accusation. On ne peut en rester là.
En fait, Manuel Valls est aux abois. Pour avoir une chance de gagner les primaires du PS, il doit endosser l’habit du rassembleur. Comment alors justifier qu’il parlait naguère de « gauches irréconciliables » ?
"L’islamo-gauchisme", marqueur magique
Il a trouvé la parade : il y a bien une partie de la gauche avec laquelle on ne peut s’entendre. "L’islamo-gauchisme" est le marqueur magique, le substitut salvateur du "judéo-bolchevisme" d’hier. Valls joue sur la corde de la peur du terrorisme pour bloquer les esprits et laisser entendre qu’il est prêt à rassembler toute la gauche, sauf… celle qui soutient les terroristes. Ce faisant, il n’est rien d’autre qu’un apprenti sorcier, dangereux et violent.
Le fond de l’affaire est simple. La société française est déchirée par des inégalités croissantes et des discriminations galopantes. Elle doute d’elle-même et une partie d’entre elle se laisse gagner par la peur. Où est la cause de nos maux ? La finance mondialisée ? Elle est à l’image des circuits financiers : impalpable, invisible. La technocratie, nationale et transnationale ? Elle se garde bien d’occuper le devant de la scène.
Quand la cause se fait impalpable, le bouc émissaire est la cible commode : le plus pauvre, l’étranger, le migrant.
Ajoutons-y ce qui relève de l’air du temps. Depuis plus de vingt ans, il est à la "guerre des civilisations" et dans cette guerre, l’ennemi de "l’Occident", c’est "l’Islam".
Depuis 2001, la guerre des civilisations est devenue une "guerre contre le terrorisme" et le terrorisme n’a qu’une tête : encore et toujours l’islam. Nous sommes en "état de guerre" : il faut donc traquer l’ennemi et ses complices. La "cinquième colonne" est chez nous ; il faut choisir son camp.
Ce n’est pas tout. À la guerre des civilisations, ajoutons un autre poison idéologique, distillé depuis un demi-siècle par l’extrême droite française. L’égalité, nous dit-elle, n’est plus le cœur de la conflictualité contemporaine ; désormais, le centre de tout est dans la question de l’identité. Nous ne savons plus ce que nous sommes...
Le Front national prospère sur la peur de "ne plus être chez soi". En 2007, Nicolas Sarkozy a fait de la défense de "l’identité nationale" une affaire d’État. François Fillon vient de gagner la primaire de la droite sur le triptyque travail, famille, identité.
Battle-dress de campagne
Le bouc émissaire idéal fut autrefois l’étranger, le Macaroni, le Polak, le juif ; c’est aujourd’hui le musulman. Sa stigmatisation est devenue le passage obligé de tous ceux qui attisent la peur.
Plus encore que le juif d’hier, le musulman est dangereux par essence. Il y a une dizaine d’années, l’essayiste Tzvetan Todorov, usait d’une belle formule. « Tous les autres êtres humains, écrivait-il, agissent pour une variété de raisons : politiques, sociales, économiques, psychologiques même ; seuls les musulmans seraient toujours et seulement mus par leur appartenance religieuse… Eux obéissent en tout à leur essence de musulmans ».
La haine du musulman s’entremêle ainsi à celle de l’islam. À l’antisémitisme toujours vivace s’est ajouté le refus de l’islam. "L’islamophobie" est devenue le pivot de toutes les angoisses les plus irrationnelles.
Manuel Valls, l’homme au menton en avant, a été un premier ministre martial. Il a troqué le costume gouvernemental pour le battle-dress de campagne. Le président en exercice, étant "out", c’est à lui de défendre son bilan. Il veut être dans l’air du temps, chef de guerre tout autant que chef d’État.
Le bilan économico-social de 2012-2016 est indéfendable ? La carte de l’autorité est éventuellement plus attractive. Valls est l’homme qui ne s’en laisse pas conter. Le Tony Blair français ne fera pas de cadeau à l’angélisme. Tant pis pour les tièdes…
Ce faisant, il n’en est pas à une contradiction près. Il s’émeut d’un compagnonnage inexistant avec Tariq Ramadan, mais passe sous silence les compromissions françaises avec le Qatar quand ce n’est pas avec l’Arabie saoudite.
Pas de complaisance avec l’islamisme ? Et comment traiter alors les complicités officielles avec le wahhâbisme ?
Face à une droite ouvertement radicalisée, la solution serait-elle dans une gauche "fillonnisée" ? Ce n’est pas sérieux.
Il est plus que temps de mettre le holà. Manuel Valls ne brutalise pas seulement Clémentine Autain, mais la gauche tout entière. Il a plus que tout autre contribué à diviser le peuple.
En enfourchant le cheval de l’islamophobie, il le déchire un peu plus. Il porte déjà la responsabilité d’une politique qui met la gauche au tapis. À la faute politique, il ajoute l’infamie.
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