vendredi 16 décembre 2016

Notre-Dame-des-Landes : lettre ouverte à Philippe Grosvalet, par Françoise Verchère

Venant juste de recevoir le magazine du département, je n'ai pas pu m'empêcher de répondre à Philippe Grosvalet. Encore une longue lettre, inutile sans doute mais... 

Le 9 décembre 2016 

Cher Philippe, 

Le magazine départemental vient d’arriver dans nos boîtes aux lettres et j’y ai lu bien sûr « l’expression du président ». Franchement Philippe, je sais bien que ce n’est pas toi qui écris, mais tout de même...Achever ton texte par « les travaux, c’est maintenant !», tu ne crois pas que c’est un peu … malheureux ? 


En fait, ce serait presque à mourir de rire, si on avait encore le cœur à rire…quand on voit ce qu’est devenu le slogan socialiste d’il y a cinq ans, à l’épreuve des faits. 

Au delà du slogan, je m’interroge. Serais-tu vraiment prêt à envoyer les forces de l’ordre dans le bocage si cela dépendait de toi ? Serais-tu prêt à assumer ce que cela pourrait déclencher ? Y crois-tu à ce point à ce projet « d’aménagement du territoire » pour reprendre la seule explication que tu m’aies jamais donnée à ton soutien à l’aéroport? 

Aménager à NDDL, c’est détruire de manière irréversible, tu le sais. Aménager à NDDL, c’est gaspiller de l’argent public alors que toutes les collectivités en manquent, tu le sais aussi. Aménager à NDDL, ce n’est pas compatible avec les engagements de la France, du Plan climat départemental, de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, tu le sais aussi.

Alors ? Alors, tu vas me dire qu’ il y a la justice et la voix populaire. Que tu les respectes, et que tu nous demandes donc de le faire.

 Mais tu t’arranges un peu avec la vérité, Philippe. Affirmer par exemple que 170 décisions favorables donnent une légitimité juridique au projet, c’est continuer à tromper les citoyens, car les opposants ne sont pas allés 170 fois devant la justice et tu le sais très bien. 

Pourquoi ne parles-tu pas des recours que nous avons gagnés ? 

Pourquoi ne parles-tu pas de l’argent public que vous avez versé illégalement à une entreprise qui n’en avait nul besoin et que nous lui avons fait rembourser ? 

Pourquoi ne parles-tu pas de l’infraction constituée vis à vis de la réglementation européenne qui vous empêche de commencer les travaux si vous prétendez respecter le droit ? 

Pourquoi ne reconnais-tu pas que deux ans après mon éviction d’une certaine commission, par la Préfecture et toi-même, la justice vient de me donner raison ?

Il faudrait aussi s’engager dans un long débat sur le juste et le droit , sur la loi et le droit de s’y opposer...Trop long pour cette lettre. 

Je voudrais juste te rappeler la phrase de Paul Nizan qui devrait encore parler à quelqu’un qui se dit socialiste : « La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste et elle-même doit le croire. » Remplace le mot « bourgeoisie » s’il te paraît vieillot mais les faits sont toujours là...et je crains que vous ne soyez complices tout en vous croyant justes. 

Tu rappelles aussi la consultation de juin en disant que son résultat est « univoque » ; sans doute veux-tu dire qu’il n’y a qu’une interprétation à ce résultat ? Certes le oui a gagné et pourtant : 55 % de oui exprimés par 268 977 électeurs sur 967 457 inscrits, cela fait 27,8 % de gens favorables. Exactement ton propre score aux dernières élections de mars 2015. 

Tu reconnaîtras sans doute si tu n’es pas totalement brouillé avec les chiffres que cela ne fait pas un plébiscite ni un raz de marée. Mais il est vrai que les politiques se sont habitués à se sentir légitimes quel que soit le nombre des voix en leur faveur, rapporté au nombre des inscrits. Vois-tu, nous n’avons pas la même conception de la sacralisation du fait majoritaire surtout quand il est si relatif ! 

Et surtout pourquoi cet avis de 27,8 % des habitants de Loire-Atlantique dont bon nombre ont d’ailleurs été leurrés par les mensonges du dossier (sur l’emploi ou la création de nouvelles lignes aériennes pour ne citer que les plus gros qui ont marché…) vaudrait-il plus que tout le reste ? 

Plus que les avis négatifs de scientifiques, par exemple… ? Plus que l’avis éventuel de tous les autres citoyens (régionaux et nationaux) qui auraient à payer cet aéroport et qu’on s’est bien gardé d’interroger ? Comment peux-tu trouver juste et définitive cette consultation pipée à tous points de vue, comme nous l’avons expliqué en détail? 

Te souviens-tu Philippe de cette réunion de l’exécutif départemental où je vous avais dit que l’affaire NDDL était un nouveau Larzac en préparation ? Vous aviez bien ri (rien à voir, disiez-vous, ni sur le fond ni sur la forme !…). J’avais raison sur la mobilisation, tu le reconnaîtras, mais pas sur votre positionnement car les « socialistes » ne sont plus du même côté, c’est vrai... 

Te souviens-tu de la séance du budget départemental où je vous ai raconté, sur fond de photo représentant les statues de l’Île de Pâques, que la destruction de cette civilisation avait pour cause : une crise écologique (la coupe des arbres pour ériger les fameuses statues), l’aveuglement des élites, et la guerre qui s’en était suivie ? Te souviens-tu que je vous ai conjuré de faire mentir le dicton qui veut que l’histoire bégaie ? Je pensais surtout à l’aveuglement des élites...

Te souviens-tu que vous avez gentiment voté un bel Agenda 21, et plus tard un beau Plan Climat dont vous vous moquez éperdument, sans quoi vous vous poseriez enfin les bonnes questions sur l’aéroport et sur tant d’autres choses ? 

Te souviens-tu de ton étonnement quand tu as comparé les budgets que nous gérions tous les deux au Conseil Général, mon pauvre budget « environnement » que je n’arrivais pas à faire augmenter face à ton budget « économie » ? Tu n’en revenais pas qu’il y ait aussi peu d’argent pour l’environnement. Mais quand il s’est agi de passer des paroles aux actes, rien ou si peu… 

Te souviens-tu que je t’ai dit un jour que votre problème à vous, hommes politiques était probablement votre rapport difficile voire inexistant à la mort et à la finitude ? Refus de votre mort politique, refus de votre mort tout court, et donc déni des limites de la planète et de la mort possible de notre civilisation et peut-être de notre espèce. Balayée d’un revers de main, la voix qui dit « attention à l’irréversible », « droit des générations futures », « respect du vivant »… 

Philippe, je sais que moi je ne suis pas audible (trop Cassandre ou trop Antigone, trop prof, trop emm...) mais dis moi, quand tu entends ou quand tu lis, si tu en as le temps, Jean Jouzel*, Stephen Hawking*, Paul Jorion*, pour ne citer que ces trois là,dont on parle un peu en ce moment, ça ne te vient pas à l’esprit qu’ils ont raison ? Que votre vision de l’avenir est complètement à côté de la plaque ? Que vos théories de la Croissance du PIB, des investissements soi-disant pourvoyeurs des emplois de demain, de la technologie qui réglerait tous les problèmes, du « ruissellement » ( il faut des riches pour que les pauvres aient des miettes), sont contredites par les faits ? 

Et que tout ça en plus d’être faux va se fracasser sur la réalité de la modification du climat et de la sixième extinction des espèces ? 

 Tu dis respecter les opposants, les as-tu au moins regardés ? As-tu vu qui sont ces dizaines de milliers de gens qui viennent inlassablement manifester contre ce mauvais projet ? Qui n’ont d’autre intérêt que celui de laisser un monde vivable à leurs enfants. Comment peux-tu être du côté de Vinci contre eux, comment ? 

Par quelle paresse de la pensée, par quel aveuglement, par quel enfermement ? Comment peux-tu croire un instant aux compensations environnementales ? 

Au cas où tu ne le saurais pas, la justice vient de condamner Cosea (groupement d’entreprises piloté par Vinci) pour non respect de ses engagements sur la construction de la Ligne à Grande Vitesse Paris-Tours (article de Médiapart du 7 décembre 2016).

Au cas où tu ne le saurais pas, AGO n’a pas respecté ses engagements de replantation sur le site de Nantes-Atlantique après avoir eu l’autorisation de détruire un petit bois pour en faire un parking de plus...Ce n’est pas grave n’est-ce pas ?

Je t’écris cette lettre alors que l’Île de France connaît avec d’autres grandes villes de France un pic de pollution « inédit » comme disent les media...

Faudra-t-il demain espérer n’avoir que de la pluie et du vent et s’inquiéter du moindre épisode de beau temps si nous sommes incapables d’agir sur la qualité de l’air ? Faudra-t-il accepter que nos enfants soient tous asthmatiques ? « Quousque tandem ? » pour reprendre la célèbre phrase de Cicéron ? Jusques à quand les politiques feront-ils l’autruche devant les enjeux environnementaux, pour le plus grand profit de quelques-uns ? 

Jusques à quand refuserez-vous de discuter des solutions encore possibles sur NDDL plutôt que de choisir une position inutilement va-t-en guerre ? 

Excuse la longueur de ce courrier, pourtant très incomplet. Je reste bien sûr à ta disposition si l’envie te venait de discuter enfin du fond de ce dossier et peut-être d’autres. 

Françoise Verchère

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