Jeudi, c’est la grève à La Poste : une intersyndicale avec Sud et la CGT appelle à une journée nationale de mobilisation pour l’emploi et contre les réorganisations. Le postier le plus connu de France, Olivier Besancenot, fait le point sur l’état alarmant de La Poste.
De très nombreux bureaux de poste ferment leur porte un peu
partout en France. 250 fermetures semblent prévues pour 2017. Comment en
est-on arrivé là ?
C’est l’aboutissement du démantèlement du service public, des
restructurations et réorganisations à La Poste depuis dix ans. Depuis
2004, 100.000 emplois ont été supprimés.
L’objectif de la direction,
c’est d’en supprimer encore 80.000 d’ici 2020. Leur augmentation repose
notamment sur la mise en concurrence des différents opérateurs postaux.
En réalité, La Poste organise sa propre concurrence. À l’échelle de
l’Europe, les différents opérateurs publics nationaux, notamment
allemands et néerlandais, se déguisent en opérateurs privés pour mener
la concurrence dans d’autres pays. La Poste fait pareil : elle achète
des filiales dans d’autres pays européens pour mener la guerre aux
opérateurs locaux. Par cette méthode, il s’agit de réduire la masse
salariale et de diminuer les infrastructures dans la sphère publique
pour ouvrir toujours plus à la concurrence privée.
Comment s’opère cette transformation de La Poste ?
Dans deux tiers des zones rurales, les vrais bureaux de poste ont été
transformés en "points poste". Maintenant, ce sont même les grandes
villes qui sont touchées. À Paris, le bureau de poste de Gare du Nord
vient de fermer. Or, l’activité ne baisse pas, comme le prétend la
direction. Le flux de courriers est impacté par la crise économique mais
il est compensé par toute une gamme de courriers – "suivi", "express",
"accéléré", etc. – qui exigent du facteur d’aller à domicile, et pas
simplement dans la boite aux lettres. Concrètement, vous pouvez avoir
moins de courriers à distribuer, mais un temps de travail allongé parce
que la prestation n’est plus la même. La conséquence de la baisse
drastique de personnel, c’est que la charge de travail augmente pour
ceux qui restent. Les postiers sont entrés dans la phase que France
Telecom a connue en 2008-2010.
Quel est le climat social au sein du service public postal ?
Aujourd’hui à La Poste, ce sont des drames à répétition qui se
produisent, des arrêts maladies et des suicides, comme dans le Finistère
ou le Doubs. Ces suicides, accompagnés de courriers qui incriminent les
choix de l’entreprise, concernent des facteurs comme des cadres de
l’entreprise. Souvenez-vous de la factrice à Villeneuve-d’Ascq qui a
fait un AVC, après sept ans de cumul de CDD à La Poste : son encadrement
lui a dit de n’appeler les secours qu’à l’issue de sa tournée ! La
nouvelle, c’est que cet été, la justice a reconnu le lien entre le
suicide et le travail.
Des entreprises comme Carrefour ou Franprix accueillent
maintenant des "relais poste". Quel est l’impact concret de cette
privatisation du service ?
La Poste est une entreprise à 100% de capitaux publics, mais qui est
une SA. Il faut savoir qu’elle est aujourd’hui ultra-bénéficiaire et
qu’elle touche le CICE, à hauteur d’un milliard sur trois ans. Pour
autant, dans les zones rurales et les quartiers populaires, La Poste
veut fermer ses bureaux. L’activité qui est dégagée, sous forme de
courrier ou d’épargne, n’est pas assez rentable. Quand le service est
assuré dans une antenne de Carrefour ou Franprix, se posent des
problèmes de formation des personnels et de prestations qui sont
réduites ou supprimées. Se pose également le problème de la
confidentialité que doit assurer un service public. Aujourd’hui, nous
sommes à un point de bascule dans la privatisation de La Poste.
Avec l’essor d’Internet, du numérique, le service postal doit évoluer. Comment ?
La Poste, comme dans d’autres domaines, doit utiliser ces révolutions
technologiques pour augmenter les services à la population. Or La Poste
veut les utiliser non pas comme des moyens pour améliorer le service,
mais comme un écran de fumée pour justifier ses suppressions d’emplois
et de bureaux. Toutes les heures, quatre emplois disparaissent à La
Poste ! La révolution numérique ne justifie aucunement cette saignée.
Les études d’impact réclamées par les organisations syndicales, à
l’échelle nationale comme européenne, n’ont jamais abouti. Or toute une
série de prestations qui sont assurées par Internet vont amener à
développer le service postal. Les achats par Internet, qui explosent,
amènent à de nouveaux flux postaux. Il y a bien longtemps que les gens
n’envoient plus de cartes postales. Cet argument d’une communication
moderne par SMS et mails, utilisé par la direction, est de pure façade.
Il masque le choix politique d’une privatisation qui va à l’encontre
d’un service égalitaire, accessible à tous sur tout le territoire.
Alors, en grève jeudi ?
Oui ! Cette journée nationale fait suite à une flopée de
mobilisations locales qui associent des usagers et des élus de petites
communes. La question se pose de faire de La Poste un réel service
public, et donc de modifier son statut.
http://www.regards.fr/web/article/olivier-besancenot-les-postiers-sont-entres-dans-la-phase-france-telecom
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire