Brexit. Après le Brexit, Trump. Après Trump, Fillon. Encore un qu’on n’a pas vu venir. En 2012, lors de l’un de ses meetings électoraux, Hollande avait affirmé : « L’ennemi, c’est la finance », une formule qu’il s’était empressé d’oublier sitôt élu. De la même façon, lors de l’actuelle campagne électorale, Fillon pourrait résumer son propos en affirmant : « l’ennemi, c’est l’Etat ».
Fillon veut un Etat portion congrue, qui couvre le minimum d’espace possible, en réglementant le moins possible, ce à quoi contribue, par exemple, la suppression de toute durée légale du travail ou un code du travail réduit à quelques feuillets. Il veut un Etat bon marché, qui dépense le moins possible (100 milliards de moins sur 5 ans) et coûte le moins possible (500 000 postes de fonctionnaires supprimés, des fonctionnaires qu’on fait travailler 39 heures).
Enfin, Fillon veut un Etat bonnes-œuvres. Les mesures qu’il propose reviennent à détruire la protection sociale telle qu’échafaudée en 1945, mais il voit bien qu’un nettoyage par le vide est impossible. Resterait donc à la charge du système public le minimum qu’on ne peut éviter, « les affections graves ou de longue durée » ou encore la retraite à 65 ans.
Le programme de Fillon ne s’arrête pas à sa partie économique ; il se prolonge par une partie portant sur « les problèmes de société ».
On peut considérer qu’il n’y a pas de rapport nécessaire de l’une à l’autre, qu’il s’agit simplement de chapitres différents d’un même programme. J’avance pour ma part l’hypothèse inverse.
« Je remettrai la famille au cœur de notre projet politique », dit Fillon, dans une conception traditionnelle selon laquelle la femme est « le pilier de la famille » et la famille le pilier de la société.
Une firme multinationale se fiche éperdument du droit à l’avortement, de la PMA, de la GPA ou encore du droit à l’adoption pour les couples homosexuels. Il n’en est certainement pas de même du petit ou moyen patron, qui a une famille. Il y a non-correspondance entre trust mondial et famille, il y a correspondance, par contre, entre petit producteur et famille. La famille tient la boutique et la boutique fait subsister la famille.
Du petit patron qui est contre l’Etat réglementaire, fiscaliste, social, on passe facilement à l’individu qui est vent debout contre le droit à l’avortement, le PACS, le mariage pour tous, en bref celui qui a fourni les incroyables bataillons de la Manif pour tous. Nous voilà dans l’univers de la petite production qui, dans un même mouvement, joint à la rage contre un Etat envahissant la défense acharnée des valeurs traditionnelles.
Le « contre l’Etat » du programme Fillon (contre l’Etat réglementaire, contre l’Etat fiscaliste, contre l’Etat social) pourrait être aussi bien celui d’une firme multinationale que celui d’une PME : compte tenu de ce qui précède, je suis amené à mettre l’accent sur le deuxième de ces termes, sur le petit et moyen patronat, sur tout ce qu’on peut regrouper sous l’appellation générale de : petite production.
N’est-ce pas cette petite production que l’on a pu voir à la manœuvre lors du mouvement breton des « bonnets rouges », mouvement dressé contre l’Etat-Paris sous ses deux visages honnis de l’Etat-réglementation et de l’Etat-fiscalité ?
Avec Fillon, nous sommes bien sûr toujours sur les sentiers du néolibéralisme, toujours sous hégémonie du capital mondialisé, financiarisé. Il ne s’agit pas de dire que la base sociale de Fillon est la petite production. Mais de suggérer qu’avec Fillon proposition est faite au reste de la droite de se regrouper autour du langage de la petite production. C’est une question de représentation politique, et non de base sociale. On délimite ainsi une droite réactionnaire au sens le plus profond du terme, où il s’agit, comme le mot l’indique, de faire tourner à l’envers l’horloge historique, et donc de remonter le temps, au moins jusqu’en 1914.
D’où, l’impression d’une droite-revenant, à propos de laquelle on se dit : « mais d’où elle sort celle-là ? ». Que l’on songe, ne serait-ce qu’un instant, à Valéry Giscard-d’Estaing et à sa droite « moderniste », pour mesurer le chemin parcouru.
D’ailleurs, les thèmes qui devraient plus particulièrement intéresser un trust mondial sont pratiquement tous absents du discours de Fillon : Brexit et ses conséquences, avenir de l’euro (pourtant menacé par le FN), crise des institutions européennes (à peine évoquée), libre circulation (des capitaux, des produits, de la main-d’œuvre) ou protectionnisme, sort des différents traités (CETA, TAFTA), délocalisations (ignorées).
Une telle liste (qu’on pourrait facilement allonger) montre bien de quel côté penche le programme de Fillon, à quoi il s’intéresse véritablement, de qui il se fait le héraut.
Brexit, Trump, Fillon : pas de doute, nous avons changé de période. Nous sommes désormais dans celle de la grande révolte contre la mondialisation néolibérale. Dans les cercles dirigeants l’inquiétude grandit et il s’agit de briser les résistances qui, partout, relèvent la tête.
En France, pour le moment, la représentation politique du capital mondialisé a été transmise à une petite production rêvant du passé, et ceci sans doute parce que la casserole commence à chauffer et qu’il faut la lâcher, parce que son manche brûle.
Ce capital mondialisé laisse faire Fillon et compagnie , et s’apprête à en profiter si l’opération est un succès, ou à la dénoncer si c’est un échec.
La victoire du candidat écologiste à la présidentielle autrichienne et la défaite de Renzi en Italie montrent que tout est encore dans la balance. Comme d’hab. la finale se jouera en France, si on en venait au programme Fillon. Haut les cœurs !
Achevé de rédiger le 5/12/2016
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