mercredi 14 décembre 2016

Le jour d'après, par Christophe Aguiton et Samy Joshua

La gauche, telle que nous l’avons connue, comprenant une aile droite, social-libérale, et une aile écologiste, radicale et révolutionnaire dispersée de l’autre côté, est en train de disparaître. C’est à la reconstruction complète d’une perspective d’émancipation anticapitaliste, démocratique et écologiste qu’il faudra s’atteler, « le jour d’après ».

La droite a donc choisi son champion, et ce sera un héraut de l’ultra libéralisme et du conservatisme sociétal version confite dans le cléricalisme. Le PS a discipliné ses frondeurs, mais perdu Macron sur sa droite. Et tout lui indique une sanction méritée dans les urnes. EELV tente d’échapper à sa crise en choisissant l’isolement. Heureusement le corps militant du PCF a désavoué une majorité de ses cadres, lesquels avaient eux-mêmes désavoué leur direction. Et arrêté la course au précipice qu’eût consisté la présentation d’un candidat maison. Tout ceci sous la menace du FN, que plus personne ne peut prendre à la légère. 


Si l’incertitude est grande sur ce qui va se passer dans les mois qui viennent, une chose est d’ores et déjà certaine. La gauche a toutes les chances de disparaître sous la forme qu’on lui connaissait depuis 40 ans. 

C’est à la reconstruction complète d’une perspective d’émancipation anticapitaliste, démocratique et écologiste qu’il faudra s’atteler, « le jour d’après »

Le faire sera indispensable pour parer les coups venus d’une droite fanatisée comme de l’extrême droite. Affirmer dès l’élection présidentielle l’existence la plus massive possible d’une base disponible pour cette immense tâche est une condition majeure pour s’y atteler. 

Et aujourd’hui, cela ne peut que passer par le score le plus conséquent possible pour la candidature de Jean Luc Mélenchon. A son tour ce succès plus que souhaitable serait facilité par le rassemblement le plus large autour de cette candidature, donc les formes le permettant, comme le propose l’Appel « Faisons Front Commun ». Et quelle meilleure façon de favoriser ce que nous devrons faire « le jour d’après » ? 

Même si, par définition, nous ne connaissons pas la manière dont les forces seront disposées après les échéances de 2017, nous disposons des coordonnées générales de la question. Partout, en particulier en Europe occidentale, les partis de gouvernement reculent, et surtout ceux du centre gauche, conséquence du rejet populaire croissant des politiques néolibérales. 

L’espace politique se polarise entre une partie xénophobe et autoritaire et une radicalisation à gauche, pour l’instant certes trop faible, et qui prend des voies très diverses. Une forme parti relativement traditionnelle comme Syriza (en laissant de côté la politique suivie par Tsipras) ; une formation substantiellement neuve comme Podemos ; la volonté de subversion de vieilles structures comme avec Corbyn et Sanders. 

Cette gauche là se cherche, et la question prend une importance encore plus grande au lendemain de signes dangereux qui ne trompent pas comme les bases qui ont dominé le choix du Brexit, suivi par la victoire de Trump. Mais si nécessité fait loi, elle ne fait pas solution. 

En France les tentatives qui se sont attelées au problème, à partir de présupposés très divers, ont toutes échoué à ce jour. Force est aussi de constater que la forme cartel, comme celui du Front de Gauche, n’a pas eu plus de pérennité. Mais l’existence de mouvements sociaux radicaux et novateurs (Nuit Debout, NDDL, Loi Travail…) ouvre une possibilité de penser une nouvelle « forme » politique de réponse écologiste, sociale, démocratique, féministe, antiraciste… au néolibéralisme et au productivisme. 

« France Insoumise » le mouvement initié par Jean-Luc Mélenchon peut tenter d’être cette réponse s’il se maintient après les échéances électorales. Mais pour l’instant il ne semble pas tirer toutes les leçons des échecs antérieurs. 

Et la contradiction entre l’horizontalité qu’il revendique pour son fonctionnement et des mécanismes de décisions qui sont essentiellement verticaux semble loin d’être dépassée. Une nécessité pourtant si on cherche à faire collaborer les histoires diverses de la gauche radicale et écologiste ainsi que les mouvements sociaux et les cercles intellectuels. Une ouverture et une collaboration absolument indispensables. 

L’espace qui s’ouvre pour de nouvelles forces de transformation écologiste et sociale tient surtout au rejet des politiques néolibérales, mais s’y ajoutent la double crise de la démocratie représentative – à la base de l’entre-soi de la classe politique – et de la forme particulière des partis politiques traditionnels. Un modèle de parti de masse appuyé sur un réseau de syndicats et associations construit il y a plus d’un siècle par la social-démocratie et qui a été la source d’inspiration des partis communistes comme des partis de droite, gaullistes ou chrétiens-démocrates. 

Une crise qui a des racines profondes et diverses. 

La restriction des marges de manœuvre des Etats-nations, effet de la mondialisation et de l’Union européenne, affaiblit le rôle des partis qui ont du mal à se saisir de ces nouvelles réalités. Ceci se combine avec une augmentation considérable du niveau d’éducation qui permet potentiellement une prise plus grande de chacun-e sur la marche du monde. Comme avec les nouvelles technologies qui permettent en même temps un accès immédiat et quasi gratuit à la connaissance, et des moyens de coordination et d’organisation horizontaux, rognant ainsi les fonctions traditionnelles des partis politiques. 

Une situation qui n’est pas propre qu’aux partis : il y a plus de quinze ans les premiers forums sociaux étaient des mises en commun de mouvements constitués, syndicats, associations ou ONGs. On en est aux individus, comme dans Nuits Debout, après les Occupy américains et britanniques et les Indignés espagnols. 

Comment faire converger ceci sans écraser telle ou telle partie de cet ensemble potentiel? Que ce soit contre ceux « d’en haut » ou en faveur de « ceux d’en bas » cette nécessité du politique ne faiblit pas, voire se renforce. Mais sa réalisation doit trouver ses formes nouvelles. 

Une nécessité qui nous oblige donc, avec beaucoup d’obstacles prévisibles, et peu de solutions d’évidence. Les options théoriques pour aborder la question sont diverses. 

Celle récente du « populisme de gauche » telle qu’elle a été théorisée par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, qui n’est pas la nôtre malgré les issues nouvelles qu’elle ouvre avec intérêt. 

Celle du marxisme dans ses très multiples acceptions. Et d’autres, si nombreuses désormais, qui explorent les voies possibles de l’émancipation. 

Plus tôt la discussion sera engagée sur ces options à confronter, plus les chances d’élaborer les solutions augmenteront. L’agenda électoral est en fait favorable à une construction qui ne soit pas hypothéquée par l’urgence : deux années sans élections, et même 3 sans élection française, les premières étant les européennes au printemps 2019 (si d’ici là l’Europe elle-même…). 

Avant de discuter la forme d’un tel mouvement « d’après », l’agenda permet de donner la priorité absolue, pendant près de deux ans, aux mouvements sociaux qui ne sauraient manquer et aux réflexions politico-théoriques, en s’appuyant sur les initiatives en cours en France et à l’international. Ceci permettrait une première « année de lutte et de réflexions » à partir de juin 2017. 

Avec deux questions au centre : comment lutter (articulation ancien/nouveau, nouvelles formes de luttes, etc. le tout en se plongeant dans les luttes qui se développeront), et quelles alternatives générales, les deux dans un mouvement de bas en haut avec réunions de « cercles” » dans toute la France, en association avec des clubs de réflexion et, si possible, avec des mouvements constitués, et l’utilisation massive d’outils internet et réseaux sociaux. 

C’est une esquisse, fragile et contestable. Mais si on ne s’attache pas à temps au problème, le vide qui peut s’installer dans 6 mois risque d’aspirer les dernières forces de résistance.

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