lundi 5 décembre 2016

Macron, la "revolution" dans la continuité, par Clémentine Autain

Candidat soliste à la présidentielle, Emmanuel Macron n’a pas de programme, mais il a écrit un livre : dans Révolution (sic), on saisit plus sa conformité à l’époque que les changements qu’il promet. Mais ne sous-estimons pas le pouvoir de sa rhétorique…

Honnêtement, le propos est bien emballé. Dans Révolution – rien que ça ! –, Emmanuel Macron livre sa vision politique. Ne nous y trompons pas : elle n’a ni la légèreté d’une bulle médiatique, ni la pesanteur convenue de l’énarchie. Macron en a sous le pied. Suffisamment pour bluffer. L’ancien ministre de l’Économie de l’ère Hollande tente de transformer une logique politique globalement conforme aux normes dominantes pour une "révolution" progressiste. Crédité autour de 15% dans les sondages, ses rouages argumentaires méritent d’être pris au sérieux.


La force de Macron, c’est d’abord une capacité à parler de notre époque. « Le moment que nous vivons est bien celui de la refondation profonde », écrit-il. Nous le suivons. Il restitue la lassitude des alternances qui ne changent rien, l’envie croissante de trouver une autre voie que celles des routines des partis établis. Macron parle du monde moderne, il sait décrire la révolution numérique, la place de la ville, la destruction massive d’emplois à très court terme, les défis environnementaux…
Ainsi, par touches successives, il installe un clivage opposant « les conservateurs et les passéistes qui proposent de revenir à un ordre ancien »aux « progressistes réformateurs qui croient que le destin français est d’embrasser la modernité ». Mais de la description du réel à la reproduction du réel, le pas est en réalité vite franchi si l’on regarde concrètement ce que propose l’homme en marche.

Croissance et réduction des dépenses publiques

Nous voilà page 77, de tout cœur avec lui, cet homme du « pour » et des « passions joyeuses », qui aime Gide et Cocteau, attaché à « la tendresse, la confiance, le désir de bien faire », mais aussi à l’égalité car ce qui tient la France unie, c’est « le rêve d’avoir une nation de citoyens non point semblables, mais égaux en droits, et plus profondément en possibilités »... Et patatras… Nous basculons dans le dur, côté sonnant et trébuchant des propositions.

« Je suis favorable à ce que nous poursuivions une réduction des dépenses publiques », affirme Macron qui parle désormais « croissance » à tout bout de champ, laissant la transition énergétique en rase campagne. L’objectif ? « Réduire les dépenses sans fragiliser la croissance ». Attention, Macron n’est pas un « dogmatique de la rigueur » mais il propose une « baisse durable des dépenses courantes ». Plus loin, il estime que la France a trahi l’Allemagne en 2007 « en arrêtant unilatéralement l’agenda de la réduction des dépenses publiques ».

Ce qu’il imagine, c’est un investissement public dans des domaines clés. Nous ne saurons jamais dans quels secteurs Macron veut « réduire nos déficits permanents, par une réduction des dépenses publiques », mais il entend investir dans la formation, la rénovation thermique et la fibre numérique.

Fort bien. Comment ? Au détriment de quels budgets ? Allez savoir… Les besoins modernes qui émergent dans les hôpitaux, les équipements culturels ou la justice, par exemple, ne peuvent se régler par de simples investissements. Mais de nouvelles recettes substantielles, il n’est jamais question avec Macron. Les domaines d’économie sont introuvables. La critique des possédants est littéralement inexistante, comme s’il n’y avait aucun rapport entre la richesse des uns et pauvreté des autres.

Flexibilité et réduction du "coût" du travail

La suite du programme, vous la connaissez. Car c’est bien la feuille de route du Medef qui se trame habilement derrière la novlangue macronienne. « La concurrence protège de la connivence et permet la liberté, c’est essentiel (…) La concurrence est indispensable à l’innovation » : voilà pour l’esprit. Macron concède : « Certains secteurs ne peuvent être abandonnés au seul jeu du marché ». Allez, on signe. Mais lesquels ? La santé ? L’éducation ? La justice ? Macron n’a qu’un seul exemple à offrir : la défense.

Au cours du livre, l’esprit de révolution prend à chaque page un peu plus son envol… Lisez plutôt : « Le "crédit d’impôt compétitivité emploi" (CICE) et le "pacte de responsabilité et de solidarité" auront redonné des marges de manœuvre aux entreprises et stoppé l’hémorragie de l’emploi ». Macron cautionne sans fard ces dizaines de milliards d’euros accordés aux grandes entreprises sans contreparties en matière de création d’emplois. Lisez encore : « Le premier ennemi des jeunes, en particulier les moins qualifiés, c’est le coût du travail ». Difficile de trouver un refrain plus en vogue dans la pensée dominante… Macron veut flexibiliser le marché du travail et faciliter les licenciements. Vous avez aimé la loi El Khomri ? Avec Macron président, vous seriez comblés. Il faut, nous dit-il, en finir avec le coût de la rupture et cesser de vouloir, d’en haut, augmenter les salaires. La réduction des cotisations salariales, c’est son sésame pour augmenter les salaires nets.
Plus iconoclaste, Macron conteste le fait que la protection sociale repose principalement sur les revenus du travail. Mais il ne dit pas sur quoi elle reposerait alors. Vous ne trouverez rien sur une éventuelle réforme de l’impôt ou sur la création de nouvelles taxes sur la rente ou le capital.

Dialogue et négociation

Si Macron n’a pas de recettes, il a une méthode. Et celle-ci est aussi bien connue : cesser d’organiser tout par la loi. Macron, c‘est le chantre de la négociation. « Il nous faut plus que jamais de l’agilité et de la flexibilité à tous les niveaux : c’est l’enjeu de la réorganisation de notre code du travail », assène-t-il. « Pour pouvoir offrir aux salariés le meilleur compromis social possible, selon la conjoncture économique et selon les impératifs du secteur, il faut ouvrir davantage de possibilités à la négociation et au dialogue », poursuit-il. Aussi faut-il permettre « aux accords de branche et aux accords d’entreprise de déroger à la loi par accord majoritaire sur tous les sujets souhaités ».

Quant au statut de la fonction publique, il est temps de le remettre en cause pour le rendre « plus ouvert », « plus mobile ». Et les retraites doivent cesser d’être payées par les cotisations sociales mais relever de la solidarité par l’impôt – tiens, voilà la révolution ! Côté protection, Macron est opposé à un revenu universel, mais il souhaite ouvrir les droits à l’assurance chômage aux démissionnaires, ce qui permettrait de créer « un droit universel à la mobilité professionnelle ». Une idée neuve dans ce magma très doxa dominante, fût-elle bien emmitouflée dans de jolis mots et descriptions du monde contemporain.

Tout n’est pas bon dans le Macron, mais reconnaissons-lui quelques partis pris salutaires. Ses propos sur la laïcité relèvent d’une vision plus apaisée de la République que la version Valls, par exemple, et il n’affiche aucun engouement pour la guerre et le tout sécuritaire, ce qui tranche par les temps qui courent… Pour la révolution démocratique, il faudra en revanche repasser. S’inscrivant dans les pas de De Gaulle, les clous de la Ve République lui conviennent, ce ne sont pas les quelques propositions égrenées qui sont de nature à renverser la table.

"Expliquer l’action" au peuple

Comment s’étonner de cette conformité globale à la doctrine contemporaine ? Il s’en prend aux « apparatchiks » plutôt qu’au cœur du fonctionnement institutionnel. Son parti pris concurrentiel se raccorde à une conception politique régie par l’idée de la « gouvernance ». Ainsi, pour le révolutionnaire Macron, le G20 reste le « bon cadre », comme s’il ne correspondait pas aux vieux équilibres issus de la seconde guerre mondiale. Ainsi encore, l’ancien ministre estime-t-il que l’Union européenne est l’institution « pleinement pertinente » pour faire face à la mondialisation.

La conclusion de l’ouvrage donne un éclairage tout à fait saisissant sur l’ensemble : « Il faut donc que le gouvernement se réapproprie l’action, en l’expliquant. Car expliquer, c’est ce qui permet à la société de l’accepter. Quand il n’y a pas de clarté des gouvernement, le peuple se cabre ». Bien sûr, si le peuple est contre une loi, c’est qu’elle n’a pas été correctement expliquée ! Les grèves de 1995 sur la contre-réforme des retraites ? C’est parce que ni le président, ni le premier ministre « n’avaient pris la peine de l’expliquer ». La loi travail, même topo.

Comprenons donc le Macron : ne pas changer de logique politique mais révolutionner le verbe, moderniser la description, mieux bricoler l’alliance entre libéralisme économique et souci de protection. De ce point de vue, c’est réussi. Mais prenons garde, et prenons acte : à gauche, pour tenir la dragée haute à Emmanuel Macron, il ne suffira pas de lui opposer les mots et les recettes du monde passé.

Clémentine Autain. Publié sur le site de Regards.
http://www.regards.fr/web/article/macron-la-revolution-dans-la-continuite

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