jeudi 15 décembre 2016

Aux ratiocineurs assado-poutiniens de France et d’ailleurs, par Philippe Marlière

Une lecture ambivalente de la tragédie d'Alep a pris corps dans des cercles de la gauche « radicale ». Celle-ci efface des débats les combattants pour une Syrie libre et démocratique qui s’opposent à la fois à la dictature d’El-Assad et à Daech. Ce discours impérialiste français, qui s'oppose à l'impérialisme étatsunien, renie plus d’un siècle de traditions et de luttes internationalistes. 

Le niveau de tartufferie et de cynisme de carriéristes politiques et autres « intellos » de salon a atteint la côte d’alerte. Le seul acte de « bravoure » de ces acteurs consiste à prendre à rebrousse-poil les « médias-à-la-solde-des-États-Unis-qui-désinforment ». 


Ce discours révisionniste que l’on nous sert à grosses louches ces jours-ci sur les réseaux sociaux est un poison mortel à gauche. Il faut admirer la plasticité et l’adaptabilité idéologique d’une argumentation qui procède essentiellement par diversions (« Pourquoi ne parlez-vous pas des autres guerres ? »), par le biais de recensions comptables « objectives » (« cela fait six mois que l’on nous annonce la destruction du dernier hôpital à Alep-Est ») et d’affirmations aussi idiotes que scandaleuses, vite démenties quand les critiques enflent (« Poutine va régler le conflit en Syrie »). 

Cette péroraison insidieuse prend corps aussi bien dans le mainstream de la gauche dite « radicale » que dans les cercles conspirationnistes et, évidemment, dans la fachosphère. C’est un discours de sens commun qui alterne les propos sibyllins et équivoques, et des affirmations tapageuses. 

Quand des voix à gauche se rebellent, le ratiocineur assado-poutinien bat provisoirement en retraite, joue à la victime, à l’incompris : « on a déformé mes propos, c’est une conspiration des médias capitalistes, etc. ». Cette rhétorique fonctionne en boucle, et malheureusement convainc des esprits bien disposés en général. 

Ce poison mortel à gauche, cette (dé)raison soi-disant « anti-impérialiste » sert aujourd’hui de prêt-à-penser d’un combat qui renie plus d’un siècle de traditions et de luttes internationalistes. 

L’internationalisme de gauche est un humanisme intégral : il est bien entendu anti-belliciste, anti-impérialiste et se range aux côtés des opprimés, fussent-ils citoyen-nes cubain-nes ou vénézuélien-nes. Un régime de gauche qui ne respecte pas les droits élémentaires humains doit être considéré comme oppresseur même s’il est progressiste sur le plan socio-économique. Et tant pis s’il faut désespérer le Billancourt géopolitique. L’internationaliste de gauche ne choisit pas ses guerres : il les condamne toutes. 

Ces principes ad minima étant posés, il est simplement stupéfiant que certains à gauche continuent de renvoyer dos-à-dos toutes les parties au conflit et de distiller le doute sur les motivations des parties combattantes. Dire que le combat qui fait des morts civiles (« c’est bien regrettable, mais dans toute guerre il y a des morts civiles », ajoutent nos tartuffes) oppose El-Assad à Daech est une contre-vérité par omission : il se trouve aussi dans ce conflit des combattants pour une Syrie libre et démocratique qui s’opposent à la fois à la dictature sanglante d’El-Assad et à Daech. 

Ces forces sont les grands perdants de cette offensive. Elles sont, de manière inouïe, oblitérées de ce conflit. C’est une infamie, une faute politique inexcusable de la part de celles et ceux qui se réclament des valeurs et des idéaux de gauche. 

En ce jour, pendant que l’on continue d’arrêter et d’assassiner des civils à Alep – hommes, femmes et enfants - que des femmes engagées dans la résistance se suicident pour échapper aux viols des soldats, nos tartuffes font de vagues déclarations anti-guerre aussi hypocrites que lénifiantes, noient le poisson en digressant sur les conflits au Kosovo, au Yémen, etc. 

Le champ politique comprend ses admirateurs poutiniens – « l’homme fort du Kremlin » - mais il regroupe surtout l’inévitable nébuleuse gauche/droite néo-républicaine, mue par la nostalgie d’une France établie comme « puissance internationale ». L’ennemi numéro un, aussi bien de cette gauche républicano-gaulliste que de l’extrême droite, est « l’impérialisme yankee ». 

Le champ intellectuel compte ses Dr Pangloss, ceux qui concluent sentencieusement un papier sur la tragédie d’Alep en affirmant : « nous n’avons aucune leçon à donner à El-Assad et à Poutine ; Obama est le vrai responsable, ainsi que nos gouvernements, du fait de leur inaction et de leur manque de courage ». 

C’est une évidence que nos gouvernements occidentaux portent une très lourde responsabilité dans ces massacres : leur inaction et le manque d’initiatives concrètes sont hautement coupables. Mais une fois que l’on a dit cela, quid des massacres assado-poutinien ? 

À Alep, ce sont des hommes, des femmes et des enfants que l'on massacre devant nos yeux. Il faut se mobiliser pour les sauver et les protéger de toute urgence. Toute autre considération est sans intérêt en cette heure tragique. 



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