"Nous ne sommes pas du côté de la loi, mais de celui de la révolte !" Asli Erdogan
mardi 13 janvier 2015
Le jour d'après, par Clémentine Autain*
La haine ou la démocratie, la peur ou le commun : au lendemain des tragédies et de l’immense mobilisation populaire du 11 janvier, la République se trouve à un point de basculement. Nous devons peser pour qu’elle se remette durablement debout.
L’élan populaire fut inédit, bouleversant, historique. Partout dans le pays, ensemble, nous avons marché contre les crimes politiques ayant visé Charlie Hebdo, une épicerie casher, des policiers – en somme, des assassinats qui nous visaient.
Le peuple touché s’est levé pour défendre les principes fondateurs de notre République : liberté, égalité, fraternité. Il n’est pas venu manifester à l’appel de tel ou tel, mais au nom de valeurs communes. Le peuple y tient et il a raison.
Place à la politique
La présence d’ennemis de la démocratie comme Viktor Orban, le premier ministre turc ou Ali Bongo, fut marginalisée par la foule, comme la tentative de récupération institutionnelle, des partis politiques, du gouvernement ou de l’austère Union européenne. Oui, il y eut quelque chose d’absurde dans la présence de tant d’huiles réactionnaires se réclamant de Charlie.
Mais l’essentiel fut ailleurs. Avoir fait peuple dimanche a constitué l’événement politique. Avec pour armes des crayons et pour mots d’ordre : « I’m not afraid », « même pas peur ».
Et maintenant ? Le jour d’après fait place à la politique. Car l’unité autour d’un refus et d’une affirmation de grands principes ne vaut pas « union sacrée ». La période qui s’ouvre est celle de la confrontation démocratique sur les racines du drame et les réponses à apporter.
Là, les chemins se séparent autour de corpus de solutions radicalement opposés, et qui se structurent autour de deux grandes logiques : l’une guerrière, sécuritaire et réactionnaire ; l’autre émancipatrice, à même d’avancer sur le chemin de la démocratie, la liberté, l’égalité et favorisant la paix.
Des voix vont s’élever pour entériner la « guerre de civilisation », plaider pour un Patrioct Act à la française, s’en prendre aux musulmans au nom de la lutte contre le djihaddisme ou exiger la fermeture des frontières. « Il y a des libertés qui peuvent être facilement abandonnées », a d’ores et déjà affirmé Claude Guéant, quand le FN proclame partout « on vous l’avait bien dit » (sous-entendu, nous avions raison de stigmatiser les musulmans), quand Marine Le Pen demande le rétablissement de la peine de mort (manière de signifier que la solution autoritaire est de saison).
La politique de la peur
Face à l’émotion et la peur engendrées par ces actes terrifiants, la voie sécuritaire, guerrière, fondée sur le rejet et la haine, a sa cohérence. Mais elle est à la fois inefficace et mortifère.
Nous ne devons pas être en guerre – les mots doivent être pesés. Qui serait l’ennemi ? Une autre civilisation ? Un ennemi de l’intérieur ?
S’engager dans cette voie, c’est prendre l’immense risque d’une guerre sans fin, d’un engrenage dramatique pour tous. Se lancer dans une guerre permanente et généralisée serait antinomique avec la paix civile. Comme si l’Etat l’État de droit n’était pas en état de faire face.
Tout un arsenal de mesures liberticides et xénophobes accompagnerait l’Etat l’état d’exception ainsi enclenché. Et en avant les contrôles accrus aux frontières, alors même que la carte d’identité des frères Kouachi était bien française. Et allons-y pour la peine de morts, comme si les martyrs n’étaient pas déjà prêts à se suicider pour leur funeste projet politique. Des mesures tout à la fois sans effet positif pour répondre à la question posée, celle de combattre le djihaddisme, mais sapant les fondements de nos valeurs républicaines, favorisant le repli et brisant le vivre ensemble.
Pour répondre à la peur, une batterie de nouvelles lois augmentant la surveillance généralisée peut donner bonne conscience aux gouvernants et apaiser l’opinion à court terme, mais n’est elle ne serait pas de nature à régler les problèmes de fond sur lesquels germent les haines. Et l’on peut se demander si, pendant que le flicage à tous les coins de rue et les poubelles transparentes fleuriraient, les moyens humains et financiers des services de police spécialisés contre le djihaddisme seraient, eux, renforcés… Les mêmes vous réciteront l’alpha et l’omega de l’austérité, la réduction des dépenses publiques.
Dans la même veine, les mêmes qui donnent des conférences à 100.000 euros au Qatar, pays connu pour financer les réseaux d’Al Qaida et de Daesh, vous expliqueront que « l’immigration complique les choses » (Nicolas Sarkozy).
La fermeté doit être celle de nos valeurs et de nos principes républicains.
Une réponse démocratique
Une toute autre logique doit s’exprimer avec force. C’est celle contenue dans la phrase du maire d’Oslo après l’attentat du néo-nazi Breivik : « La punition sera plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie. »
S’il faut s’atteler à démanteler les réseaux djihaddistes, clarifier certaines relations et positions géopolitiques, se demander pourquoi et comment de jeunes français ont envie de se lancer dans les filières djihaddistes, affronter la réalité de nos prisons qui ne permettent pas de se reconstruire, mais peuvent conduire à une aggravation des comportements criminels, la réponse à apporter ne doit pas se situer sur le registre des régressions liberticides et des encouragements à la haine contre une partie de la population, en l’occurrence la population musulmane – qui n’est pas, faut-il le rappeler, une "communauté" parce qu’elle est très hétérogène.
La réponse doit se situer sur le terrain de la révolution sociale et démocratique, à même de donner de la chair au "vivre ensemble" qui est au cœur des questionnements après ces assassinats politiques.
Pour que la haine recule, il faut que la démocratie, l’égalité, la liberté progressent. Or la promesse républicaine est en panne. Le pouvoir du capital sur nos vies fait reculer la démocratie et creuse les injustices. Le libéralisme économique et son chômage de masse, l’explosion des inégalités, la casse des droits sociaux, le démantèlement des services publics, la corruption au sommet de l’État, la démocratie vacillante en France et Europe sont autant d’atteintes aux valeurs qui ont fondé la République, celles pour lesquelles nous sommes descendus dans la rue ce week-end.
Donner du souffle
La faiblesse de la projection dans un destin commun, porteur de progrès humain, est un terreau fertile du repli, des racismes, du désarroi grandissant, en particulier chez les plus jeunes.
Depuis des années, nous vivons dans un climat de rejet des musulmans, qui est devenu une forme contemporaine du racisme, de rivalité entre les formes de xénophobie et de montée de l’antisémitisme.
La théorie du « choc des civilisations », l’audience des thèses d’un Zemmour et des fantasmes romanesques d’un Houellebecq ne produisent pas du commun, mais figent les identités et installent des frontières, des tensions, des concurrences au sein du peuple.
Si la laïcité doit être réaffirmée aujourd’hui, c’est dans ses deux pans : le droit au blasphème, le droit de se penser et de se dire "irréligieux" et le respect de la liberté de culte, de tous les cultes. Affirmer un seul de ces deux principes contenus dans la valeur de laïcité, c’est prendre le risque de briser le cadre républicain.
Dans les manifestations, la tonalité fut clairement du côté de l’antiracisme. L’onde de choc populaire n’a pas fait la part belle au tout sécuritaire ou au repli communautaire. Une mobilisation anti anti-musulmane, anti-immigrée, aux relents d’extrême droite, à l’instar de ce qui se passe en Allemagne ou de ce que représente en France le vote pour le FN, aurait pu avoir lieu. Ce ne fut pas le cas.
Le nombre a exprimé le désir de vivre ensemble dans la liberté. Cet élan considérable a permis de faire reculer la peur et de donner du souffle aux jours d’après. Rien n’est joué.
De quel côté la société française va-t-elle basculer ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Si la droite extrême et le cercle infernal des haines guettent, l’immobilisme menace aussi. Les gouvernants peuvent agiter les mots et continuer comme avant. Mais ce mouvement qui a exprimé dans la rue son envie de commun et de liberté n’a peut-être pas dit son dernier mot.
- publié sur le site de Regards
- directrice de Regards, Clémentine Autain est aussi porte-parole d'Ensemble!
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