lundi 23 avril 2012

La grève de la raison par Hervé Kempf (Le Monde du 21 avril 2012)


Ce ne sont ni des jeunots ni des têtes brûlées. Ils ont réfléchi, soupesé, discuté. Puis ils ont choisi. Face au mur des potentats locaux, au refus de délibérer, au déni de tous les arguments, ils ont pensé qu'il ne restait qu'une solution. Grave. Dangereuse. Le 11 avril, deux paysans, Marcel Thébault et Michel Tarin, ont commencé une grève de la faim. Le 17 avril, une élue au conseil général de Loire-Atlantique, membre du Parti de gauche, Françoise Verchère, les a rejoints. Ils jeûnent à Nantes, où l'on peut les rencontrer square Daviais.

Ils demandent que s'arrêtent les expropriations sur les terres de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Depuis des années, habitants, paysans, et élus de ce territoire refusent qu'en soient bétonnés près de 2 000 hectares pour un aéroport dont l'utilité est fort douteuse et le dégât écologique indiscutable.

"Interrompez les expropriations", demandent les grévistes, "le temps que soient examinés nos recours juridiques". Auprès du Conseil d'Etat, le Collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport conteste la déclaration d'utilité publique faite en 2008.
En effet, ces mille élus ont demandé à un cabinet d'experts néerlandais, travaillant habituellement pour la Commission européenne et des ministères hollandais et britannique, d'analyser le dossier d'enquête publique menée en 2006. Le rapport de CE Delft, publié en octobre 2011, constate que l'enquête est fondée sur des hypothèses exagérément favorables - par exemple, un prix du baril de pétrole en 2025 de 60 dollars... Et que, loin d'apporter un bénéfice à la collectivité, l'aéroport lui coûterait. Ce travail n'a pas été discuté ou contre-expertisé. Ignoré, tout simplement. Cela a-t-il un sens ? Les décideurs politiques et économiques feraient-ils la grève de la raison ? La France peut-elle investir à l'aveuglette, au risque de creuser de nouveaux déficits ? Voilà les questions que posent les jeûneurs.

Le 11 mars 2011, François Hollande écrivait une lettre - que l'on trouve sur Internet - à un lecteur du Monde qui l'interrogeait sur Notre-Dame-des-Landes. La création de l'aéroport, écrivait M. Hollande, "pose effectivement des questions au niveau économique et écologique. (...) Il apparaît indispensable de tenir compte de l'avis des populations et des arguments des associations de défense de l'environnement, dans l'intérêt général". Il semble que soit venu le temps de prendre ces mots... au pied de la lettre.

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